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mievpolou.over-blog.com Québec, Birmanie, Islande, Terre neuve, Norvege, Trois mats, Lisboa, Azores, Pays bas, péniche, canaux

Sac à terre...

Michel RAVITSKY

Traversée, rituel du début et de la fin de quart : Début : tout le monde se groupe sur le pont central et appel. Etre là 5 minutes avant le début du quart. Après l’appel et un éventuel briefing, on peut aller se faire un café : il y a des percolateurs en libre-service dans un endroit abrité. Puis les choses sérieuses commencent. Fin : on se regroupe à nouveau pour se compter et vérifier que personne n’est passé par-dessus bord. C’est en général pendant le regroupement final, qu’une vague choisit de passer par-dessus le bordé et de nous rincer avant notre départ vers un duvet bien tiède.

La super chef de quart

Notre chef de quart a une adjointe qui va devenir elle aussi chef de quart, et qui est l’antithèse de la louve de mer : 1,60 m, 21 ans, toute frêle, cheveux blonds, petite voix. Mais elle connait son bateau par cœur, monte au mat comme qui va au bistrot, et se débrouille super-bien en matelotage, surliures et épissures, bonnet turc et cul de porc. Je ne suis pas sûr que les machos français soient capables de faire cela et d’accepter qu’une fille soit aussi compétente voire plus que nombre d’entre eux… il faudra que je vérifie sur un de nos deux bateaux classiques, le Belém et l’Hermione. Il parait que sur l’Hermione, le maitre voilier est une maitresse voilière…

Traversée, quarts : Les manœuvres n’ont rien d’anecdotique (après avoir étarqué une voile, on est un peu cassé. Par exemple hisser un hunier volant de 250 Kg auquel s’ajoute la pression du vent sur la voile nécessite facilement dix personnes qui tirent sur un cordage en polypropylène pas particulièrement tendre avec la tendre peau des doigts.). Mais c’est tellement la vraie vie…. Il y a trois autres activités importantes dans un quart : la ronde de sécurité, la barre et la veille. Pour cette dernière, on est posté à l’étrave avec consigne de piquer (sonner) la cloche dès qu’on voit quelque chose : un coup si c’est à tribord, 2 si c’est à bâbord et 3 si c’est droit devant. Ces trois activités durent une heure chacune. La prise de barre s’accompagne d’un rituel qui n’est pas du tout un luxe. On demande au barreur le cap suivi. Puis on va voir l’officier de quart à la table à carte pour lui donner le cap que le barreur vient de vous indiquer, et on demande si c’est OK pour barrer. Ensuite seulement on relève le barreur. Ainsi, pas de risque de mauvaise compréhension, lourde de conséquences.

Allan à la barre

Dans les pas des anciens 1 : cet après-midi durant notre quart, initiation à la navigation astronomique avec un vieil officier suédois qui, dans un anglais parfait, nous a expliqué, de manière très pédagogique, les rudiments et les principes de la visée au sextant, de la droite de hauteur. Il nous a aussi montré les éphémérides nautiques, les tables de calculs (les bonnes vieilles H0249) : bond en arrière vers une époque où, sans électricité, sans calculette, faire son point était une préoccupation de chaque moment. Finie cette époque, tuée par le GPS, et il y a beaucoup de nostalgie de ma part de ce temps, où nous faisions davantage corps avec la nature, où chaque chose que l’on voyait était un indice pour savoir où nous étions, où scruter le ciel et l’évolution des nuages avec un œil sur le baromètre nous permettait d’avoir une idée de l’évolution de la météo, idée souvent assez précise. Lire le chapitre des anciennes éditions du Cours des Glénan au sujet du « paysage maritime », écrit entre autres par Ph Harlé, architecte de Skantzoura, le plus beau bateau du monde, le mien. Je suis toujours agacé quand je vois des marins un peu débutants passer tout leur temps sur leur logiciel de navigation sans prendre le temps de regarder avec leurs vrais yeux autour d’eux. Le jour où nous aurons un cataclysme satellitaire comme celui du film « Gravity » ou bien un orage magnétique solaire hyper puissant et que les GPS, les radars et les ordinateurs seront HS, il va y avoir quelques paniques à bord. Bon, j’arrête mon couplet « has been ».

Dans les pas des anciens 2 : cet après-midi j’ai remis la main sur mes paroles de « sea shanties », les chants de marins anglais, beaucoup plus beaux que les français. Constater que le vocabulaire de ces chants est resté le même que celui qu’on emploie sur le CR quand ils prennent le temps de parler anglais, ce qui heureusement est fréquent. En fait nous sommes deux français, et avec un allemand et un suisse, les quatre seuls à ne pas parler nordique. Car suédois norvégiens et danois, même si leurs langues sont un peu différentes, se comprennent tous. Et le norvégien est vraiment une langue impossible à deviner pour nous autres, pauvres latins…

Se sentir héritier de cette épopée de millle ans, qui a démarré avec les pêcheurs basques qui ont découvert Terre Neuve officieusement (je laisse de coté Pythéas le massaliote, dont certains prétendent qu'il aurait découvert l'Islande, et Brendan qui a peut être été aux Canaries voire aux Antilles), les vikings qui construisaient des bateaux merveilleux, les grands découvreurs et la marine en bois du XVIII°, apogée de l’art maritime à mon sens. Tout ce que nous touchons sur le CR est l’aboutissement de ce que ces dizaines de milliers d’hommes ont appris avec leur sang leur sueur et leurs vies, et nous ont légué. Accomplissement d’être les porteurs de cette tradition et satisfaction de pouvoir transmettre. Les gadzarts vont se demander quelle mouche me pique soudain, moi qui ai refusé de suivre le bizutage des Arts et Métiers…. Mais est-ce la même chose d’avoir la posture « j’en ai chié donc tu dois en chier aussi » et la posture « je vais faire tout ce que je peux, pour que tu donnes le plus vite possible le meilleur de toi-même, et pour te transmettre ce que je sais »comme le font nos chefs de quart ? Il y a tradition et tradition donc… Et je ne défends pas systématiquement la marine : les mousses, embarqués à partir de 13 ans, étaient souvent les victimes et les souffre-douleurs des marins qui passaient sur eux leur mauvaise humeur et leur frustration, quand ce n’était pas des instincts beaucoup plus dégueulasses.

Tout a une fin, La Corogne

Ce matin après un quart de nuit par un froid de canard, nous arrivons au moteur. Vu la route, je suspecte le capitaine (qui a pour prénom Fritjhof comme Nansen) d’avoir un peu joué les prolongations pour arriver just in time car le pilote (sans la présence duquel nous n’avons pas l’autorisation de rentrer zau port) était prévu pour 9 h. Notre route aurait pu être raccourcie de 20 milles au moins. Mais peu importe. A minuit on commence à préparer les amarres. Sortir d’un coffre du gaillard d’avant une amarre de 50 mètres de long et de 10 cm de diamètre, puis l’amener sur la dunette, prend un certain temps, surtout quand la consigne est de la glisser sur le pont pour éviter de faire du bruit en laissant tomber des morceaux (ça dort en dessous). Gonfler les pare battages. Lover chaque amarre impeccablement et, pour certaines, prendre une biture. Préparer les toulines pour pouvoir les lancer attachées aux amarres. Défaire les housses de ce qui craint les embruns. (Le Mirror est en rupture de stock, on dirait : je reviendrai avec mon nécessaire de polisseur de cuivres). Préparer les supports de la coupée.

Arrivée du pilote
Pavillon P

A 9h03 le pilote est à bord, son échelle était en place depuis un moment, le pavillon P est hissé. Il se tient, comme dans les livres, à côté de l’homme de barre et le capitaine est juste derrière. Arrivée sur le quai sans coup férir dans une calmasse olympienne et garantie sans ressac, la garde descendante est envoyée sur le quai, elle ne casse pas (hé hé, des progrès). Le capitaine dirige la manœuvre avec deux Talkies walkies. On fait nos sacs sans motivation. Et comme c’est dur de se séparer, on va bouffer ensemble le soir dans les bistrots de La Corogne. J’ai l’impression que l’équipage du CR colonise toute la ville. On ne peut pas faire 50 mètres sans croiser un groupe soit de stagiaires soit de crew (ça ne se mélange pas quand même). On entre dans une bodega avec plein de « patas negras » qui pendent au plafond. Et Paf, on tombe sur Fritjhof, Allan et deux autres marins attablés devant des bières. Je me prends un bon verre de vin (je ne suis pas alcolo, mais après 8 jours, ça fait du bien par où que ça passe  quand même, et le vin de Pico, qui passait vraiment très bien, m’avait laissé un gout de pas assez)

La Corogne n’est pas une ville fabuleuse mais elle a un certain charme, possède une belle église romane et, chose intéressante, une maison où Picasso a habité entre 11 et 14 ans, car son père, prof d’Arts Plastiques comme on dit maintenant, avait été muté à La Corogne. Il y a quelques repro de ses dessins de préado.

La maison est dans son jus d’époque et surtout, il y a un article d’un critique d’art de 1891, dans le journal du coin, car le petit Pablo a fait sa première exposition ici.

Et le critique dit en gros que « ma foi, le petit gars dessine bien et a un certain sens de la couleur. Un nom à retenir …. »

La palette à Pablo

 

 

J’irai à Pontevedra le samedi, avant de prendre mon avion. Pontevedra, ville moyenâgeuse, dont j’ai un bon souvenir (de 1979…) durant la descente de Biribi vers Lisbonne, avant ma première traversée de l’Atlantique, et après m’être fait coucher par une vague dans le golfe de Gascogne (Ne pas jouer au Golfe). Le souvenir saura coïncider avec la réalité. Vieille ville beaucoup plus belle que celle de La Corogne, toute en granit avec des arcades et de belles églises, certaines gothiques (le baroque, j’ai vraiment du mal).

 

 

Le marché de Pontevedra avec ses poissonnières à faire pâlir Bobby Lapointe (c’est une rousse affriolante…). On sent que nous sommes chez les celtes.

A Pontevedra on en a la celtitude. Pontevedra recèle une quincaillerie fantastique, spécialisée dans l’ameublement : poignées de portes, charnières, poignées de tiroirs, verrous. Il y a tout.

La quincaillerie XXL

(Un jour je ferai un guide des quincailleries du monde. D’ailleurs il faut que je retourne à San Sebastian, parce que j’en avais vu une fabuleuse. La quincaillerie est un concept en voie de disparition, détruite par Casto, le sorcier Merlin, Brico dépôt. Je me remets difficilement de la disparition de la quincaillerie de la rue St Rome à Toulouse, juste à côté de la place du Cap : Remplacée par un vulgaire marchand de fringues.)

 

 

 

Optimiser le stock...

La semaine sainte démarre, les ménagères achètent les Rameaux, souvent très bien tressés en Espagne (un autre matelotage) Pâques approche et donc mauvais temps pour les agneaux. Pour nous aussi mais en moins grave, vent et pluie.

Et puis ce sera le départ, après une après-midi de pluie à visionner sur YouTube les vidéos du CR et les archives numérisées des grands voiliers d’antan (Gorch Fock, Passat, Peking, Herzegovin Cecilie etc…les allemands filmaient beaucoup).

https://www.youtube.com/watch?v=96cRjLkIKlE

Maintenant je commence juste à comprendre ce que cela représentait….

See you in Liverpool (quand les marins anglais disaient cela, ça voulait dire «  on se reverra bien un jour »). Ce soir j’aime bien la vie ! Et puis Mardi je vais draguer l’Hermione à Sète. On ne sait jamais, ils recrutent jusqu’à 65 ans…

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