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Islande 2022 N°3 de Djupavik à l'Hekla

Michel RAVITSKY

Je resterai trois jours à Ytri Tunga, dormant au camping de Lungaholt, à 3km de ce spot qui est la Mecque du phoque. Ce camping est situé près d'une lagune où les sternes ont établi leur camp de base et vont pêcher à coté. La lagune est séparée de la plage par un étroit cordon dunaire, et donc on a en bruit de fond celui des vagues. Les sternes nichent à même le sol, et sont très bruyantes. En islandais, sterne se dit Kria. Dur d’être plus parlant. Nous sommes deux véhicules sur un immense terrain. A part que la douche n'est pas encore ouverte (et donc le camping est gratuit), c'est un lieu parfait.

Le matin je pars à 6 heures faire un tour à Ytri. Car ce spot est victime de son succès, je ne suis pas le seul à le connaître. Mais à 6 heures, je suis seul. Huîtriers pie, Courlis, tournepierre, gravelots, mais surtout phoques. C'est marée haute. Donc les phoques ne font pas bronzette sur les cailloux mais nagent tranquillement. Et en restant un peu immobile sur la plage, c'est bientôt dix phoques qui me tournent autour. Il sont à 20 mètres de moi, ont visiblement pied et parfois se dressent sur un caillou immergé pour mieux me voir.

Et quand nos regards se croisent, la timidité reprend le dessus et ils plongent pour réapparaître trente secondes après. Touchant, cette curiosité pour l'homme. De là le mythe de la sirène.... Bon le phoque n'a quand même pas un charme fou...


 

Après avoir loupé encore une aquarelle, je décide de partir vers Djupavik, mon endroit fétiche dans les fjords de l'Ouest. A ce moment là je reçois un message de certaine C, qui me propose de venir boire un café chez elle. Ma foi.... Je découvre une petite maison avec vue imprenable sur les îlots (ambiance Chausey) et je découvre encore une autre inconditionnelle de l'Islande. A son départ à la retraite elle a décidé de venir s'installer ici. C a travaillé dans un labo de Géophysique, donc les volcans, c'est son truc et elle connaît aussi bien La Réunion que l'Islande. Mais C est aussi une artiste, spécialiste en broderie. Elle traduit les textures islandaises sous forme de broderies avec des perles, du crin de cheval, et des tissus aux textures particulières ; Un tableau en tissu évoquant une lave cordée me séduit tout particulièrement. Elle traduit ainsi avec sa sensibilité des coulées de lave, des ruisseaux, des stalactites, des glaçons etc.... Elle a décidé durant sa carrière de faire un break et a passé le diplôme de l’école Duperré à Paris, qui, avec Olivier de Serres, Estienne et Boulle sont les fleurons français de la formation aux métiers d'art. Soirée géniale. Ça se confirme, les gens qui m'attirent sont des passionnés et encore plus s'ils sont habités d'une passion artistique. Le matin petit ravitaillement à Stikkiholmur avant de foncer vers le Nord. A la sortie de la boulangerie, un monsieur m'interpelle en français « Vous ne seriez pas un ami de Jean Marc le belge » l'accent suisse ne laisse pas de doute. Quelle célébrité ! Ma modestie en prend un coup. Médecin urgentiste, il voyage dans un petit camion acheté à l'armée suisse. 20 voyages en Mongolie. Respect ! Je crois que je pourrais faire équipe avec lui. Petit, ramassé, son camion respire la rusticité et la fiabilité. Rien à voir avec les énormes camion MAN ou Mercedes dont je me demande comment ils font pour passer sur les pistes islandaises. Dommage, ce n'est pas un Diesel et ça consomme quand même 15litres aux 100 km. Le même en diesel et j'aurais envisagé de faire des infidélités à Land Rover, n’était-ce l’énorme avantage de approvisionnement en pièces, possible partout dans le monde. Comme quoi l'empire britannique avait quelques avantages... On discute et finalement je lève le camp vers midi. Route sans encombre vers Djupavik. Je m’arrête à 30 km de ma Mecque, au pied d'une superbe cascade et à 10 mètres de la plage, sur un plat herbeux.

Ça fait trois fois que je passe ici et je n'avais jamais repéré cette cascade superbe. Que demander de mieux ! Ce soir BBQ avec un steak islandais acheté tout mariné. Pas encore aussi bon que celui que mes sauveteurs de Nyidalur m'avaient fait goûté l'an passé. Mais celui là avait en plus le goût de la mésaventure qui finit bien...

Trois jours à Djupavik. Ceux qui lisent mes blogs savent l'effet que me fait ce lieu, sorti tout droit de l'imagination d'un metteur en scène allumé. Et il y en a eu deux, dont je vais tacher de trouver les œuvres. Je vais enfin au bout de la F649 vers deux cascades très belles Hvala et Husa.

Et cette année je m'offre la visite de la vieille usine, sous l’égide du gendre de la propriétaire de l’hôtel. En fait cet hôtel était le dortoir des femmes qui travaillaient le hareng. Ceux qui ont lu Karitas, sorte de Germinal islandais par certains cotés, pourront sauter les descriptions de ces journées de 18 heures d'affilée avec (puisque payées aux pièces) juste le temps d'avaler un peu de pain et de quoi avoir assez de calories pour tenir. 8 femmes dans une chambre de 10m². Les hommes dormaient dans le Sudurland, l’épave échouée à cet effet par les propriétaires de l'usine.

Cette usine fut construite en 16 mois au début des années 30, dans un fjord totalement désert et loin de tout, mais proche des bancs de harengs, il fallut tout amener par bateau, car pas de route à l’époque. Et surgit du néant le plus gros bâtiment en béton d'Islande, conçu par un ingénieur islandais génial qui avait tout prévu, et tout prévu dans la démesure. Mais une démesure qui s’avéra rentable, malgré l’énorme investissement qui nécessita que les propriétaires islandais contractent un prêt envers une banque suédoise, car les banques islandaises ne voulaient pas suivre. Des engins énormes furent mis en œuvre : une chaudière de gros steamer naufragé vers Reykjavík et récupérée puis amenée sur place à grands renfort d'huile de coude, de crics et de poulies. Des alternateurs dont certains avaient été achetés à un fabricant allemand et qui n’étaient rien d'autres que ceux qui équipaient les Uboat de triste mémoire. La mise de fond fut remboursée en deux ans, c'est dire la rentabilité de la chose !

Des millions de harengs finirent dans cette usine. Deux produits en sortaient. Tout d'abord l'huile, qui était tout simplement le produit de la compression du hareng. Mais quelques gouttes par animal, seulement.... Pourtant les cuves que j'ai visité (il y en a 3) ont des capacités de plusieurs millions de litres. Elles sont dotées de tubes circulaires, concentriques, au fond de chacune, qui permettent même si le froid fige l'huile, de la garder suffisamment liquide pour la transférer dans les cales des cargos des acheteurs. L'huile de hareng a des propriétés lubrifiantes fameuses, et se vend très cher. Une fois le hareng comprimé, il reste une pâte qui constitue un excellent aliment. Mais elle doit être déshydratée, d'où nécessité de produire de la vapeur (et la raison d'être de la chaudière) et une fois la pâte chauffée et déshydratée, elle est emballée dans des sacs de 100 kg manipulés à dos d'homme. Les TMS connaît pas... : pas le temps, on est mort ou infirme avant. Les femmes retirent la tête des harengs et les disposent dans des tonneaux en bois dans une saumure dans laquelle leurs mains baignent parfois 18 heures de rang. Imaginez l’état de la peau. La moindre coupure et c'est une douleur infernale et une plaie qui non seulement ne cicatrise pas mais s’agrandit, rongée par le sel. Et les femmes travaillait dehors QUELQUE SOIT LE TEMPS. Même pas un auvent pour se protéger. Dans Karitas, on peut lire la description des nuits d’une ouvrière, aux mains tellement endolories qu'elle dormait les mains en l'air.... et donc qu'elle ne dormait pas... ce qui après 18 heures de travail debout, le dos cassé en deux pour attendre le fond des tonneaux, vous fait direct une syndiquée. En ce temps là, le syndicalisme n’était pas une assurance tout risque anti-chef, mais une nécessité. Du reste, c'est dans cette période que le parti communiste islandais a vu le jour, et les femmes y étaient très actives. Au mur, des photos de cette époque.

Les gens ont l'air heureux et les vieux qui parlent de cette époque le font avec une certaine nostalgie, en occultant peut être les sombres aspects car souvent la mémoire enjolive. Mais la paye était bonne et une saison de harengs vous donnait des ressources pour tenir l'année. Et de plus, malgré les dortoirs séparés et la promiscuité, des petits malins venaient avec leur tente (sans A) et on pouvait voir à la belle saison, des tentes qui fleurissaient dans les champs. Une photo de procession retient mon intention : une belle islandaise en costume traditionnel tient un étendard et est suivie par des petites filles et d'autres femmes, toutes en costumes. La femme porte étendard est l’épouse de l’ingénieur en responsabilité du site, et une des petites filles de la photo  deviendra Miss Islande et un top model des années 60, mondialement connue, appréciée, dit on, de John Kennedy, lequel avait décidément un goût certain. Maria a fait un documentaire sur la région, qu'on peut acheter en DVD et qui est passionnant.

Après cet épisode extraordinaire dans ce lieu qui me fait un effet incroyable, descente vers le sud avec un nouvel arrêt à Reykholar, parce que je sais depuis peu que ce fut un lieu où on construisait des bateaux à rames. Il y a un truc fabuleux avec les bateaux à rames dans tout l'Atlantique Nord. Que ce soit aux Shetlands, aux Faroes, en Norvège, aux Hébrides, en Islande, bref partout où les vikings sont passé, on continue à construire des chaloupes à 6 ou 8 rames dont les formes sont absolument identiques. 1200 ans après, les formes restent parfaitement adaptées, les méthodes de construction (bordés à clin) demeurent, et le savoir faire est transmis sans faille. Or à Reykholar, justement, il y a un expert en construction de chaloupes. Donc je file à son atelier musée et découvre une pléiade de barques, de vieux moteurs inboard (Tiens ! la saga de Grim le chauve ne les mentionne pourtant pas ?).

La réceptionniste du musée est une accorte autrichienne qui m'a l'air un peu éthérée, (comme quoi l'Autriche et l'éther ne sont pas des ensembles disjoints) mais super sympa, et me fait découvrir ses trésors, enfin ceux de son musée. Au passage, j’achète deux DVD dont un sur la construction des bateaux, et je repère un livre extrêmement bien illustré de magnifiques dessins à la plume, portant sur, devinez, la construction des barques. La précision et la qualité du graphisme sont dignes de Boudriot. Une semaine plus tard, le livre est dans B612, grâce au bouquiniste de Selfoss que j'avais repéré l'an passé. Reste à accomplir la quête de l'atlas Danois de l’Islande au 100.000°. Mais là, on passe à un autre niveau de difficulté, et peut être de prix...

Et puis, après être passé par le maxi camping de Burfell sur la 518 (à éviter car usine à touristes et taille impressionante) et les deux belles cascades de Hraunfoss et Barnafoss,

je m'offre une petite montée sur la 551 au pied d'un glacier, le Langjokull. Malgré une journée ensoleillée, la nuit fut fraîche. A 780 mètres d’altitude avec la porte du frigo ouverte, rien d’étonnant. Mais le chauffage marche, inch allah !

Après une escale chez Arielle, départ pour une zone de cascades jamais explorées. Deux jours à en prendre plein les mirettes. En particulier à Haifoss, une des plus hautes : un saut d'eau de 123 ou 128 m selon les auteurs ! Beau plongeoir...

Je rencontre enfin C, un gersois fana de l'Islande qui est arrivé avec un 4x4 muni d'une cellule home made (très bien faite), qui était loin d’être finie. Donc vacances islandaises ambiance scie sauteuse et copeaux d'alu. Il s'en accommode, et de toutes façons n'a pas le choix... Soirée à parler technique au camping d'Arnes, après que je me sois liquéfié avec délice dans le hot tube de la piscine voisine où l'eau est à 40°C. C'est un pilote tout terrain beaucoup plus expérimenté que moi.

Le lendemain, mon voyage au centre de la terre reprend à la grotte de Arnarker. Juste avant je me pointe à une autre grotte. Aménagée, on vous y donne un casque à l'entrée, ça coûte 50 euros pour une heure, et il y a une liste d'attente. Ça sent le piège à touristes, et même si ça ne l'est pas, l'idée de ces sorties encadrées, aseptisées, où je deviens un mouton de Panurge, ne me correspond pas du tout... Demi tour. Mais plus loin, il y a Arnaker dont le nom n'est pas justifié, au contraire, nous l'allons montrer tout à l'heure. Seule indication sur un vague dépliant : munissez vous d'un éclairage, de bonnes chaussures et de gants. Ça me plaît davantage. J'y vais. Route cahoteuse, un panneau. Je descends, frontale au front, tel le 3ème œil de Bouddha. D'ailleurs où se mettre une frontale ailleurs qu'au front ? Ô lecteur coquin, non je ne me la mettrai pas là, même si elle clignote en rouge si je le lui demande !

Personne dans le coin. Pas de construction autour. Parfait tout ça ! J'arrive sur l'entrée. Ce n'est pas une grotte archétypale. C'est un trou dans le sol, qui est par ailleurs assez horizontal dans la zone. Bizarre ! Un escalier a été aménagé car la descente est impossible sauf pour un alpiniste équipé. C'est en fait d'une configuration assez courante : le tunnel de lave. « Le tunnel de lave, qu'est-ce que c'est ? » comme on disait à la télé dans les années 70. Lors d'une éruption, de grosses quantités de gaz sont libérées. Mais la lave empêche leur passage car un volcan n'a pas d’intestin. Suis je clair ? Il y a deux solutions plus expulser ces flatulences telluriques. Soit l'explosion : trop de pression et le gaz fait sauter le dôme du volcan par exemple. Belle résolution d'une occlusion intestinale. Le pet tellurique et libérateur, en somme. Soit la lave est fluide et pas encore solidifiée. Le gaz va alors se faire un passage dans la lave molle et construire son boyau. Et si la lave se solidifie ensuite, gentiment, on aura un boyau qui fait parfois des kilomètres et des diamètres permettant à un homo sapiens d'aller y faire un tour, ce que projette de faire votre serviteur. Je pénètre donc dans l'intestin du monde. Ça ne sent plus rien, ouf. Je suis tout seul, donc faire gaffe aux glissades et au risque de cheville foulée et autres joyeusetés. J'assure mes prises, et ce d'autant plus que l’entrée du boyau est encore pleine de la neige glacée de l'hiver. D'habitude quand on descend dans les entrailles de la terre, la température monte. Ici elle descend. Il fait dans les 10 degrés en surface et zéro à l'entrée de mon intestin. L'existence de cette entrée est tout simplement due au fait qu'à cet endroit, l'intestin passait très près de la surface de la terre et que la voûte s'est effondrée du fait de l’érosion et des coups de gel. Je vais en voir moins qu'avec mon voyage organisé, mais quelle satisfaction. Même si ma frontale s’avère ne pas être assez puissante. J'aurais du prendre le gros projecteur LED... Ce petit goût d'aventure est si enivrant, alors que l'excursion organisée a un goût fadasse de vision non méritée. Le peu que je verrai est quand même très beau. La glace qui s'est formée durant l'hiver donne l'impression de cristaux. Je suis au cœur d'une mine de diamants.

La journée finira après la visite d'une église construite par des marins qui avaient failli mourir dans un naufrage sur la cote voisine, et par un bivouac au bord du lac Hlidarvatn, caché, abrité du vent, dans l'herbe, avec une météo trop picale pour être honnête. Le paradis...

 

Je comptais faire de l'aquarelle, mais malgré un beau soleil, le vent se leva et je jugeai (avec en plus une flemme complice) que tout cela n’était pas propice à la barbouille. De plus un oiseau vint me narguer. De loin ça avait un profil de Plongeon. J'attendais qu'il se rapproche. Et ne fus guère déçu : un splendide plongeon Imbrun en plumage nuptial. Photos.

Puis grisé par ces coches, je m'en fus à la réserve ornitho de Floï à coté de Hallskot, pas loin de la 34 et d'Eyrarbakki. Coches de plongeon catmarin, et en plus une mère avec ses poussins.

Mais dans ce cas, faire marche arrière et ne pas stresser la petite famille. Le soir, au camping, je fis la rencontre de P, une jeune et charmante tchèque qui voyage seule dans un Dokker de location, sans chauffage, je faisais justement un BBQ et lui offrit de partager ma pitance, que j'avais en quantité trop importante, les supermarchés ne pratiquant pas la ration individuelle. Elle ne se fit pas prier, peut être n'avait-elle que peu de provisions (une tchèque sans provisions, ça existe parfois) ... Ah ces rencontres de voyage, on sait que le temps est compté, et on se dit tout. P aime voyager seule, et elle a un peu la même philosophie du voyage que moi. Je lui propose d’échanger une découverte de Prague contre une découverte de Toulouse. Banco me dit elle. On verra si ça se concrétise... Et le matin, après une petit déjeuner ensemble dans le salon de B612, car...... il pleuvait fort sur la grand route, il a fallu qu'elle me quitte après m'avoir dit grand merci. Car bêtement même en orage, les routes vont vers des pays.... Et je l'ai vu, toute petite, partir gaîment d'Eyrarbakki.

Après cela, cap sur Reykjavík pour retrouver mon copain Jean Marc chez Arielle. Super soirée, ce type a décidément un humour excellent, et un sens de l'autodérision qui fait tant défaut à mes compatriotes. Puis ce fut le départ pour Thakgil, après Vik au bout d'une route, la 214, qui me rapproche d'un glacier. Arrivée le soir après en avoir pris plein les mirettes sur la route qui m'éloigne de la route N°1, décidément souvent inintéressante.

Aujourd'hui 16 juin, veille du jour de la fête nationale islandaise, je suis resté tard dans mon lit douillet car les giboulées se succédaient. Puis dans l'après midi, le gardien du camping, avec qui j'avais eu en arrivant un échange sympa, et qui se révèle un tchèque sympathique (décidément, et en plus je fais pas exprès) m'a proposé de l'accompagner pour valider un nouveau sentier qu'il vont bientôt tracer pour doubler un itinéraire existant qui passe par un coin très glissant et raide. Chemin faisant, on discute : il est ici depuis 4 saisons et 3 ou 4 autres années en Islande. Il me dit que ce coin est tellement beau qu'il n'a pas envie d'en partir, qu'il découvre de nouveaux coins chaque fois qu'il se balade. Après un sentier un peu raide mais fort praticable une fois qu'il sera un peu tracé, nous arrivons sur une piste plus large où l'on voit des traces de pneus. Je demande si on a le droit de pratiquer. No problem me dit il mais ce n'est pas une piste facile. Par contre, elle va au glacier. Il y a trois passages délicats et deux virages en épingle à cheveux un peu difficiles. « Mais je vais te montrer cela » me dit il. Nous cheminons. Le plus dur est une cote à 30° bon poids sur des plaques de lave (du reste le terme plaque est impropre : boursouflure serait adéquat).

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le Grand Cantonnier avait un petit coup dans le nez quand il a posé les plaques. Moins jointives, impossible. C'est impressionnant. Mais je me dis que, en bloquant le différentiel, en mettant la première courte, ça pourrait passer. Et si ça ne passe pas, il y a en bas de la cote une zone où le demi tour est possible. Je redescends un peu vite au camp de base car la météo prévoit le mauvais temps en fin de journée. Ranger la voiture, tout caler, dégonfler les pneus. Et hop c'est parti. Tout s’enchaîne correctement puis j'arrive au passage critique. Je descends, je repère une dernière fois, prière à St Christophe et hop ! Facile.... Le Land est un vrai tracteur, il s'arrache en souplesse et la roche est assez granuleuse pour ne pas déraper. Bon... mais il faudra redescendre. Et à la descente il y a un moment stressant, c'est quand on plonge et que l'avant de la voiture masque la piste le temps que la voiture soit bien dans la pente. Mais tout se passera très bien. Chemin faisant, je vois des paysages extraordinaires parmi les plus beaux que j'ai vu en Islande. Les verts explosent surtout aujourd'hui que tout est gris. Retour le soir (enfin le soir islandais, celui qui nécessite une montre pour savoir que c'est le soir), un peu frustré, car en arrivant vers le glacier, je me retrouve dans la purée de pois alors que le paysage est réputé magnifique. Au camping, je vise un Toyota allemand qui a l'air fort bien affûté. Couple adorable, pas frimeur, ayant à la fois du répondant et de l'écoute. On discute et ils sortent une bouteille de Whisky de Sea Sheperd, l'ONG qui milite contre la chasse aux cétacés.

Raison de plus pour joindre l'utile à l’agréable et soutenir une juste cause. Nous la soutînmes, au delà du dévouement, puisque la bouteille fut immolée sur l'autel de la baleine éternelle. On veut arrêter de massacrer les baleines certes, mais c'est pas une raison pour ne pas exterminer les bouteilles de whisky, mille millions de mille sabords. Ah mais ! Ce soir dodo sur le dos...

Allez, pour faire de beaux rêves, une légende islandaise : celle de l’École noire. Il y avait dans les temps ancien une école de ce nom. On y apprenait la magie et diverses sciences antiques. Elle se trouvait dans un souterrain très profond donc sans fenêtre, et il y faisait toujours noir. Il n'y avait pas de professeur et on y apprenait au moyen de livres qui étaient écrits en lettres de feu, ce qui évitait d'avoir recours à un éclairage. Les étudiants restaient dans l'obscurité durant 3 à 7 ans. Chaque jour, une main grise et velue sortait du mur et tendait à manger aux étudiants. Celui qui tenait l’école, qui n'était autre que le Diable, disait que chaque année, le dernier d'une promotion qui sortait lui appartiendrait. Une fois, il y eut un islandais dans cette école, du nom de Saemundur. Quand celui ci dut quitter l’École, au cas où il serait le dernier, il s'enveloppa d'un manteau noir, sans enfiler les manches et sans boutonner de bouton, un peu comme une cape. Lorsque S prit l'escalier pour sortir de l’École, il vit qu'il était le dernier et bientôt le diable empoigna le manteau en disant « toi tu m'appartiens » Mais S se débarrassa de son manteau et réussit à sortir. Mais quand il sortit, la lourde porte de fer se claqua violemment sur ses talons, et depuis, il y a une expression courante en Islandais qui est : « la porte a claqué tout près des talons » pour dire « il s'en est fallu de peu ». Variante : Quand S arriva à la lumière, son ombre se projeta sur le mur et S dit au diable : « je ne suis pas le dernier. Regardes qui me suit. Le diable attrapa l'ombre et depuis ce jour là, S n'a plus d'ombre car le diable ne lui rendit jamais. Fin de l'histoire. Bonne nuit.

Le lendemain matin, après une nuit de pluie quasi continue qui résonne comme il faut sur le toit, donc tu l'auras compris, ô lecteur subtil : en deux mots, pas très tôt, l’œil bouffi, je profite d'un ciel dégagé et de la bénédiction du garde du camping, car la météo prévoit du mauvais temps (vent fort mais en fin de journée), pour remonter au glacier. Les fesses sont moins serrées qu'au premier coup, mais ne pas se déconcentrer, jouer les blasés et se planter. Tout se passe bien.

Je m'arrête en route devant un paysage sublime pour allumer une bougie (et là je suis malheureusement très sérieux) car c'est aujourd'hui le jour de la dispersion des cendres de ma grande amie C, qui fut experte et amoureuse de la montagne.

J'arrive au névé. Pas toucher B612, car névé pas supporter poids de B612 et risque élevé de se retrouver le châssis gentiment posé sur la neige avec des roues qui font ventilateur. Mais il reste quelques kilomètres pour arriver en face du glacier. No problem : je te sors le matos photo, les chaussures de rando.... et là problème grave ! Ma chaussure droite est transformée en pot de fleurs : avec l'eau mais sans les fleurs... Ô lecteur assidu, tu sais qu'une des définitions du Defender c'est « véhicule dont les fluides internes ne demandent qu'à sortir et qui est prêt à accueillir tous les fluides externes ». Donc la pluie de la nuit, après avoir suivi un p... de b.... de m... de trajet que j'aimerai bien élucider, s'est invité dans B612 qui, consentante, s'est laissé pénétrer, et icelle ondée a pensé que ma chaussure sera un bon endroit pour finir sa nuit.

Donc je devrai marcher en dockside, ce qui n'est pas conforme à la doxa du montagnard. Je croise un couple de randonneurs français, qui, matinaux, redescendent et me disent que le terrain acceptera des docksides. Dont acte. Et effectivement, une heure plus tard me voici sur le dernier sommet avant d’être en face du glacier. Le vent s'est levé, et levé dru. Tellement dru qu'à peine debout sur la crête, une saute de vent soudaine jeta mes habits dans les nues. Eh non lectrice libidineuse, amatrice de Brassens, ce ne furent que mes lunettes ! Mais oncques plus emmerdé jamais glacier ne vit ! Une heure à quadriller la zone putative d'atterrissage de ma paire, sans succès. Trois suédois (à quoi reconnaît-on des suédois ? Parce qu'ils vous le disent. C’était ma devinette con du jour) arrivent à la crête et c'est à quatre que nous quadrillons en un quadrille malchanceux la drop-zone potentielle.

Je redescends honteux et confus, jurant mais un peu tard qu'on ne m'y prendra plus. J'ai toutefois, petite consolation, une paire de rechange dans la voiture. Mazette la bonne idée que d'emporter bésicles de secours ! Au retour, je retombe sur mes suédois juste avant la « dalle en lave de la mort qui tue » et, après promesse de Vasa et de catalogue Ikea, me voici doté d'une équipe de cameramen qui vont filmer le tropisme de B612 pour les dalles en pente (comme son chauffeur). J'attends toujours le partage sur une plateforme de transfert pas forcément freudienne, et la mettrai sur Facebook.

La salle à manger du camping : une grotte. madame attend son chasseur de mamouth chéri en préparant la sauce béarnaise du mamouth

La fin d'après midi me voit, lézardant en T shirt. Mais le garde est formel. Cette nuit, vent très fort, rentrez les petites culottes qui sèchent, même en dentelles arachnéennes, et mettez vous dans un coin du terrain où les bourrasques ne vont pas trop tourbillonner et vous faire tanguer. Il avait raison : vers deux heures du matin, le vent se lève et à trois heures, B612 ressemble à un voilier dansant sur son ancre dans un mouillage agité. Je mets en route pour peaufiner l'ancrage et mouille B612 nez au vent, afin de diminuer les secousses liées à une prise au vent pas optimisée. La nuit sera courte et au matin j'essaie de me planquer (sans succès) derrière le bâtiment des douches, en prend une, et me casse sans demander mon reste. Moult tentes défoncées jonchent le sol, et parfois un accessoire de camping traverse le terrain, un peu comme.... ma paire de lunettes.

J'aurai dormi trois heures. Mais un étudiant singapourien, qui fut mon voisin de table au dîner, lui dormant sous tente, me confie les affres d'une nuit totalement blanche. Et le vent se calmera une heure après mon départ du camping . Journée slow motion à Vik, déjà envahi par les touristes dont nombre de français. En fin d’après midi, pour de galantes raisons, je décide d'aller voir à l'Hekla si j'y suis. Fin de journée superbe, le soleil éclaire tout en lumière rasante. C'est la canicule, 17°C. J'ai repéré une piste sans numéro, dans une zone où tout le reseau routier est ouvert, qui monte près de l'Olympe du Nord, le volcan des volcans, l'Hekla. Le but est de passer la nuit vers un petit lac en contrebas. Ça commence par un raidillon un peu défoncé. Je bloque le différentiel, ce qui est signe de chaos. En cette veille de scrutin législatif, on pourrait dire que le blocage de différentiel est un peu comme le 49-3 : volonté de passer malgré le chaos. Piste vraiment défoncée. Aussi loin de la 4 voies à l'asphalte de velours que Macron l'est de l'égalité et de la fraternité. Je cueille au passage une belle pierre ponce pour ma salle de bain. Mais minuit se prépare. Le sabbat va battre son plein sur le mont Chauve. Moussorgski me trotte dans la tête, la piste est évanescente, et surtout je suis dans un champ de lave noire et l'obscure clarté qui tombe des étoiles me fait quelque peu défaut. Ils vont m'entendre au syndicat d'initiative, eux qui vantaient le soleil de minuit, : soleil mon cul, oui ! Et même qu'icelui céans éclaire mieux, (surtout après une balade à cheval). A un moment, walou, y a plus de traces de pneus ! Envolés mes prédécesseurs, sans doute dégustés par les trolls qui hantent forcément ce lieu lequel, ici, devient inquiétant. A coté, Mars fait figure de contrée riante. Bon. Il est temps de dormir et de rêver à la reine des Elfes qui m’amènera mon petit déjeuner au lit.

Le Rhinoceros à poil mousseux tendance lichen

A 3 heures, un sifflement me réveille. Ma Reine m'appelerait-elle ? Ce serait quelque peu cavalier et guère galant. Le vent dans la galerie du toit, en fait. Moins romantique . Ça, c'est signe de.... vent. Je jette un œil dehors. Un rai de soleil éclate sur l'Hekla. D'un coté. De l'autre, c'est moins engageant : les nuages montent depuis le sud. Entrée d'air maritime, donc risque de pluie et/ou brouillard. Pas de réseau pour vérifier la météo mais mon expérience de marin me sonne l'alarme. Pas bon tout ça. Le séjour au bord du lac va être court, je le sens ! Surtout que même avec la lumière qui revient (c'est pas trop tôt, j'ai bien fait de me plaindre au gérant), les traces sont invisibles. Tout ceci augure d'une retraite en bon ordre. C'est frustrant (et difficile) de décider, si près du but, j’étais à moins de 5 kilomètres, de faire demi tour.

Le début de la sagesse ? A voir...

Napoléon, grand stratège mais piètre galant, disait qu'en amour la seule victoire est la fuite. En tout cas, flotte en moi le sentiment de vivre au carré, cette exaltation d'avoir été dans un coin difficile, d'avoir tutoyé le Roi des volcans, la porte de l'Enfer, celui qui compte à son actif trente éruptions depuis le XII° siècle (et qui m'a foutu la paix cette nuit), de l'avoir fait seul, loin (pas tant) du parking de Vik et de ses troupeaux de touristes moutonniers. Ouh que je les aime pas ceux là, ceux qui « font » l'Islande !

 

Mais je reviendrai, et je le verrai mon lac, et par la F225 qui est pour le moment fermée mais qui ne paie rien pour attendre. Retour. Le brouillard crachin arrive, mais je suis ma trace au centimètre près, retrouvant mes propres traces de pneus encore chaudes tout en ayant l’œil sur le GPS dont l’écran montre ladite trace en jaune vif. Eh oui ! La technologie du petit Poucet a fait de gros progrès et de plus, semer des cailloux ici, ce serait un peu comme remplir le tonneau des Danaïdes.

A 5 heures je suis à nouveau sur une piste dotée d'un numéro, mais pas d'asphalte. Je rédige ces quelques lignes et sombre dans les bras de Morphée puisque la Reine des Elfes me fait la tronche. Une de perdue, dix de retrouvées. Sopranes et altis à l'unisson : « Tous les mêmes... »

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