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Road trip dans le désert des Monegros

Michel RAVITSKY

JOURNAL DE BORD d'un Road trip dans le désert des Monegros Mars 2022

Il s'agissait de se mettre au vert durant quelques jours après une fin d'automne et un début d'hiver bien pénibles. Mais aussi, ayant fait subir à B612, mon valeureux Defender 300TDI de 1997, un certain nombre de travaux mécaniques (et même un nombre certain) en préventif, il fallait s'assurer que tout était conforme. Compte tenu du contexte personnel, impossible de partir trop loin, donc franchir les Pyrénées (j'habite le 32) et aller dans une zone aragonaise jamais encore explorée par ma pomme, me semblait être une bonne idée. Ce le fut.

Dans ce qui suit, je fais allusion à un Roadbook (RB). Il s'agit pour les non initiés d'une sorte de guide qui, pour un itinéraire bien précis, sur des pistes rarement signalisées, vous donne à chaque carrefour la route à emprunter, et durant combien de km, jusqu'à la prochaine intersection. Avec ça et un GPS muni d'un logiciel qui fait défiler la trace à emprunter, le risque de se fourvoyer est minime. Les numéros dans le texte qui suit renvoient aux Wayppoint (WPT pour les intimes du RB -vous me comprenez n'est-ce pas?)

Jour 1 : départ en mode stress. Fin du chargement de B612 dans le Gers sous la pluie (heureusement le plus gros avait été fait la veille. Je décolle à 10heures. Saint Lary, les Pyrénées sont magnifiques, et je pense sans arrêt à mon amie Catherine, disparue trop vite et trop tôt et qui était la reine de cette zone. Puis le tunnel de Bielsa et l'Espagne enfin. Bonne surprise : l'essence est moins chère qu'en France, 20 à 30 cts au moins en moins. J'ai décidé de ne pas commencer le RB à son début car je connais déjà la zone de départ et préfère garder du temps pour des coins plus inconnus, ou pour flâner dans quelque cité aragonaise. J’arrive à Barbastro dans l’après midi et décide de brancher mon GPS à cartographie « muy especiale » très détaillée. Malaise. Aucune carte n’apparaît. Je réalise vite pourquoi. La veille au soir j'ai vérifié que les cartes étaient bien sur la carte (mémoire) de l'appareil (suis je clair?) et pour ce faire ai branché ladite carte mémoire sur mon.... PC de bureau.... et l'y ai laissé. Panique à bord : en gros, je me sens le roi des c...

Je cherche une solution. Contacter des gens qui ont ces cartes et qui, grâce à Wetransfer, le pélican numérique, pourront me les faire parvenir. Deux heures plus tard, les cartes sont sur mon espèce de tablette grâce à la famille Rosa. Ouf... Mais il se fait tard et dormir dans B612 en la bonne ville de Barbastro ne me chaut guère. Cap sur Lagunarrota, et ses puits antiques, dans l'espoir de faire le plein d'eau car je n'ai toujours pas rempli le réservoir d'eau potable. Eh oui, je pensais que les stations service ibères me proposeraient ce... service. Que nenni ! En Espagne la plupart des stations ont bien de l'eau mais elle n'est pas potable, en tous cas c'est ce qui est marqué sur les robinets. Le village n'est pas enchanteur, et surtout il fait nuit. Et il l'est encore moins quand à peine arrivé, la pluie elle aussi arrive. Dîner à l'intérieur. Je sais faire mais c'est une procédure islandaise, et je me disais que la péninsule ibérique m’épargnerait ces mesures de repli. Mais la péninsule n'est pas bonne fille cette année. La pluie a le mauvais goût d'insister et ne s’arrêtera pas de la nuit. Le lendemain matin : pluie et par conséquent, petit dej. inside. Je pars vite après avoir constaté que les puits ne sont pas accompagnés de fontaines, dont je ne boirai point l'eau. Les routes sont bien détrempées et je goûte à la joie de la conduite dans la bouillasse (en particulier dans la zone 99 plus loin) . Au bout de deux heures, le beau bleu de B612 est à peine visible au point que les poignées de portes sont elles aussi revêtues de bouillasse. Il est temps de faire quelque chose. Arrivée à Villanueva de Siguena (085) et là : une apparition. Un tuyau d'eau à 20m de B612. Le Saint tuyau resplendit dans le matin, le Seigneur me l'a envoyé, c'est certain. Je toque à l'huis de l’ibère local pour lui demander la permission d'utiliser « su manguera » et après avoir attendu un peu, on m'ouvre. Un boomer apparaît, que j'ai peut-être tiré du lit (il est 10H30) et qui me dit que  « la manguera no functiona. » Miracle mon cul ! On discute, il me demande d'où viens-je, et lorsque je réponds, il me rétorque dans un français quasi sans accent que nous pouvons poursuivre en la langue de Molière. Moi qui avait sorti mon Castillan du dimanche, car nous le sommes, Dimanche... L'homme est mécano et m'explique ses projets mécaniques. Pas du bricolage, du sérieux. Il me dit aussi que la coopérative agricole juste à coté est dotée d'un tuyau en libre service et que je peux y aller. J'y cours derechef et en profite pour décrasser B612 que c'est pas du luxe. Puis visite du monastère de Sigena, qui fut propriété de l'ordre de St Jean de Jérusalem et qui maintenant appartient à l'ordre de Malte.

La guide, donc une chevalière dudit ordre, est très érudite (trop?) mais la visite ne peut être que guidée et franchement vaut la peine car l'architecture romane est splendide, et la chevalière intéressante. Puis départ vers de nouvelles aventures. Arrêt devant des voitures du Gobierno de Aragon où un garde me met en... garde. En gros le message est : «Évitez de rouler après des pluies, vous creusez les ornières même si vous faites attention ». Message reçu, il a raison. C'est vrai que la couleur boue de B612 pourrait laisser penser que je m'amuse à faire sploutch dans les flaques.

Pourtant j'y vais doucement , mais, même sans être un abruti, il est exact que les ornières se creusent par mon simple passage.

 La journée est bien entamée, et c'est finalement en toute fin de journée que j'arrive au Monastère de San Caprasio, avec une vue superbe et des logements troglodytes (pour être honnêtes) qui ont servi, tour à tour, d'ermitage, de cachette à un Mandrin local (qui volait les riches pour donner aux pauvres (un non-Macron, en quelque sorte)) du nom de Cucaracha, puis qui ont été utilisé durant la guerre d'Espagne, laquelle a laissé des traces sanglantes dans ce coin, nous le verrons souvent.

Aujourd'hui le monastère ressemble plus (et est) un relais hertzien flanqué de moult antennes. Les voies du Seigneur., ça se pénètre avec la technologie moderne... La vue est superbe et j'arrive assez tôt pour me mettre en cuisine, après une petite rando apéritive. Douce nuit tranquille.

Au matin changement de décor. Le vent commence à bien souffler et je décide de plier boutique en vitesse. Bien m'en prend car la pluie arrive. Pas une grosse pluie drue, mais une petite pluie fine et obstinée, qui a vite fait de détremper les pistes. Le vent forcit. Et finalement arrivé à Robres (187) je décide de faire escale car la météo est pourrie de chez Pourri. Robres hors saison n’est pas d'une animation folle (euphémisme) mais je trouve un mini market pour faire emplette de chorizo, horchata de chufa et autres denrées sans lesquelles une incursion est Espagne est comme une vidéo sans son, ou un baiser sans moustaches.

Milieu d’après midi. Le vent a encore forci et je trouve un abri derrière une haie d'arbres derrière le stade de Robres. Moins bucolique c'est difficile. Et Accuweather ne me dit pas des choses sympas (vent à 70km/h dans les rafales). Bien que le lieu est loin d’être idyllique, je décide finalement de rester là pour la nuit. Je me dis aussi que si ça continue à ce rythme, je vais raccourcir l’itinéraire. Moral en berne. Lendemain matin : le vent a baissé et la pluie, qui s'est arrêtée à la tombée de la nuit, a l'air de disparaître selon Accuweather. Que faire ? Ça doit être détrempé. Je décide de shunter une boucle vers une arche et de tenter sur la pointe des pneus la suite du parcours. En fait le sol est assez perméable et le vent fort a séché les pistes. Par contre, en montant vers l'hospederia de Magallon (fermée comme beaucoup de lieux -nous sommes hors saison, refrain connu-) je découvre des branches maîtresses en travers de la route et plus loin, un dizaine d’arbres étêtés par la tempête d'hier. Ça n'a pas rigolé. Détour par un radar météo qui vaut la peine (254). la Virgen de la Sabina (260) est inimaginable dans un lieu aussi vide : un sanctuaire aux proportions impressionnantes au milieu de rien.

Puis la journée devient magique avec une route en corniche qui donne une vue impressionnante sur des canyons dignes de figurer dans des westerns.

Du reste la zone est fort prisée des cinéastes et beaucoup de films, pas seulement des westerns spaghetti (en l’occurrence des westerns Tortilla) ont été tournés ici.

La fin de la journée me trouve à Santa Quiteria, (321) ermitage plutôt coquet. Et là coup de chance (pour une fois) : des dames (que j'entends avant de les voir, nous sommes en Espagne) briquent le sanctuaire car une noce est prévue bientôt. Du coup je peux visiter l’église qui, pour un ermitage, est carrément luxueuse. Et même que si ce n’était pas un ermitage, on la trouverait encore stylée. Moi, pour qui ermitage = grotte dans les Météores ou le mont Athos, à flanc de falaise, ravitaillée par un système de palans et surtout par les corbeaux.... il va falloir que je révise ma définition. Une fois ces dames parties, je m'installe, en retrait pour la nuit. Toujours en retrait dans les lieux connus, depuis qu'en Islande, m’étant garé juste à coté d'une piscine d'eau chaude en plein air, qui me semblait vraiment paumée, j'ai vu arriver vers minuit (mais il faisait jour) un couple, qui a tiré une ces trombines en me voyant, tellement que je me suis senti de trop. Il n'ont tiré que la trombine, les pauvres. Mon esprit mal tourné a immédiatement fait l’hypothèse qu'ils projetaient des ébats pas que aqueux. Je leur avais ôté cette distraction, j’étais tout triste pour eux. Depuis, je prends des précautions... C'est que un ermitage, ça peut donner meilleur goût au péché...

Le lendemain, muni d'une météo sans pluie ni vent, je me lance vers la plaine de l'Ebre. Une vraie plaine. Plate. Horizontale. Des pistes droites, d’énormes champs. Un peu monotones. Peut être que par une belle matinée, ou un beau crépuscule, ça peut donner des lumières spéciales, une ambiance « désert des tartares », mais aujourd'hui, « c'est ben plate » diraient les québecois. Il y a aussi des salines, grosses flaques salées je suppose (mais n'ai pas goûté). Une s'appelle Salina de la muerte. Y passerais-je la nuit ? Le sol est jonché de cailloux, voire de blocs, d'une blancheur virginale. Je me dis que ce doit être de la Calcite.

Mais plus loin je verrai qu'il y a une carrière d’albâtre. Ici l’albâtre pourrait presque servir à empierrer les chemins. J'en récolte quelques spécimens. En plus mon copain Jacques fait de très jolies sculptures. Donc je collecte aussi pour lui.Le village d'Alborge est très intéressant car doté de moulins à eau (nous sommes sur les bords de l'Ebre), de glacières (lieu ou on entreposait de la neige récoltée l'hiver pour pouvoir en saison livrer en glace la bonne ville de Saragosse, ses sorbetiers et autres apothicaires), de bacs, car les ponts sur l'Ebre n'ont pas toujours existé. Et la carrière d’albâtre est juste à coté.

Arrivé à Sastago (348) je file au monastère de la Rueda. Rueda veut dire roue.

Un monastère de la roue ? Pourvu que l'on y célèbre pas les délices de l'Inquisition, et ces gens délicats qui avaient érigé les supplices au rang des Beaux arts, au nom de l'amour du prochain (ils ne devaient pas s'aimer beaucoup eux-mêmes). Mauvaise langue ! Mécréant ! Les moines du coin ont mis au point un système d'irrigation et d'utilisation de l’énergie hydraulique hyper sophistiqué. Et il y a une roue à aubes d'environ 5 mètres de diamètre qui sert à alimenter je ne sais quels moulins. La roue a été reconstruite et c'est ce que j'ai vu de plus grand en la matière. Les Hollandais, ces castors de l'Europe, sont ravalés au rang de plaisantins en pédalo à coté de ce truc énorme. Les showboats du Mississippi et les traversiers helvètes du lac Léman : pédalos vous dis-je ! Malheureusement, nous sommes hors saison et l’église est cerrada de chez Cerrada. Mais je reluque d'un œil, dorénavant expert, que les fenêtres sont dotées, non de vitraux mais d’albâtre. Je comprends le pourquoi de cette mode que j'avais déjà observé chez les chevaliers de Malte, et qui est l'expression de la notion de circuit court avant la lettre.

Quand même: au XI° siècle, être capable de tailler de l’albâtre en fines lames de parfois 2 mètres de long, ça mérite un certain respect. Pas de découpe au jet d'eau à l'époque. Mais avec quels outils ? Mystère.... Nuit à coté de Fuendetodos, ville natale de Goya.

Je plante le camp non loin d'une glacière à moitié taillée dans la roche, une énorme cuve cylindrique de 100 mètres cube dixit le panneau explicatif, (je pense que c'est bien plus : 1000 ?). Jolie fosse, dotée d'un toit genre Orit occitan mais de dimensions "énaurmes" et quand même tenant au mortier, à la différence des orits, eux en pierre sèche. Je plante le camp non loin d'éoliennes taille XXL, chose que je n'avais jamais faite. Anodines ces éoliennes me dis je, résurrection des moulins à vent de Don Quijote, même si d'une esthétique douteuse . Sauf qu'à la nuit tombée, une douce brise arrive et qu'un bruit de ventilateur emplit l’atmosphère. Heureusement, on est dans les fréquences graves et une fois l'huis de B612 clos, le bruit est à peine audible. Ah l’écologie je vous jure.... Beau village que Fuendetodos mais un peu fermé hors saison. Je trouverais quand même (sous la pluie qui revient) un petit bistrot un peu glauque et une petite épicerie-charcuterie où je ferai l'emplette de quelque chorizo et de morcilla (boudin), parfaites pour la collation méridienne, et d'une bouteille de pif, pour le soir, car moi Madame, je conduis le jour et donc ne bois pas. La nuit, tous les chats sont gris, par contre... Journée sympathique, temps gris mais sans pluie, avec un vent acceptable, beaux paysages variés, je me risque même à un tronçon réputé peu amène après la pluie (mais j'aime le cinéma japonais qui me le rend bien). En fait, le terrain est assez perméable et la pluie récente a pu être absorbée, sauf juste à un passage. Mais B612 en a vu d'autres en Islande. Le soir me trouve dans un refuge pour chasseurs, planqué derrière la maison, à peu près protégé du vent. Car il s'est renforcé le bougre. Il me reste moins de 30 km à faire pour boucler ce road trip. B612 m'a l’air au point même si la liste des petites modifs à faire suite à ce voyage n'est pas vide. Mais elles sont petites... et c’était le but que de mettre à l'épreuve les modifs de l'hiver. Une satisfaction : l'habitacle a l'air presque étanche, grâce à l'adjonction et au remplacement de joints sur les 3 portes. Et ça pour un land Rover, c'est un exploit. Car la définition du Land est : c'est un véhicule dont les fluides internes ne cherchent qu'à le quitter et pour lequel les fluides externes n'ont qu'une envie : le pénétrer. Et ma foi, il y a un fond de vérité dans tout ça...

Post scriptum : de retour vers la mère patrie, petit détour par le monastère de San Juan de la Pena, qui vaut vraiment la peine

 

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