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mievpolou.over-blog.com Québec, Birmanie, Islande, Terre neuve, Norvege, Trois mats, Lisboa, Azores, Pays bas, péniche, canaux

La croisière blanche 3

Michel RAVITSKY

Vendredi 5 Avril.

(c) Ch. Radich

Ça y est : repartis ! Un grand coup de marche arrière… pour se dégager du quai …et de quelque autre risque gênant. Par un beau soleil, nous appareillons. 38 personnes à bord mais seulement 5 rescapés de l’étape précédente : l’irlandais, l’évadé des mines de la Moria, un allemand qui connait le bateau comme sa poche, un suédois très sympa et votre serviteur… Jean de la providence de Dieu dirait Mc Orlan, mais nous ne sommes plus en 1902 (pour décoder, voir YouTube, c’est Monique Morelli qui la chante). Heureusement, l’équipage est beaucoup plus fourni que précédemment.

Il y a plein de filles (enfin plutôt de dames) et donc je dois réviser mon commentaire précédent sur les femmes vikings.

le club des teletobbies

Ça change tout de suite l’ambiance du bord, la rendant plus: ça cause plus, les filles (truisme). J’ai trois voisines de couchettes. Pour être précis et clair, et éviter tout fantasme et interprétation, les trois couchettes autour de la mienne sont occupées par trois norvégiennes : Sigrun Solvi et Hilde.  Nous ne sommes pas mariés comme on dit en Birmanie, mais nous prenons nos quarts ensemble, ce qui crée une certaine complicité, car nous nous levons à la même heure (private joke pour mes amies birmanes, voir over-blog). Je sympathise avec un jeune allemand, responsable qualité dans une usine sous-traitante pour l’industrie aéronautique, ancien équipier du 3 mats Alexander Von Humboldt (un sacré bonhomme cet Alexandre, qui avec son copain Bonpland est allé se promener en Orénoque, en Amazonie et a ramené quantité d’observations comme les savants du XIX° (et du XVIII°) savaient les faire. Le bateau éponyme est un drôle de truc, anguleux, vert y compris les mats, plutôt moche, et mon nouvel ami m’apprend qu’il doit cette couleur douteuse à son sponsor qui est une marque de bière : Beck. Berk ! Mais Henning aime les chants de marins et en connait quantité d’allemandes. Il chante bien. Je sens que ça va donner !

Cet après-midi, alors que nous passions sous un pont

Chant de marin : c'est en passant sous l'pont de Morlaix

(et c’est toujours le même moment de stress : on a beau savoir qu’il y a dix mètres de marge, on baisse la tête et on attend le moment où le mat va casser contre le tablier ! parallaxe quand tu nous tiens !), je fais un long stage sur la vergue du hunier fixe d’artimon. Cette fois ci, montée sans la moindre appréhension, je me propulse presque en bout de vergue et y reste une bonne vingtaine de minutes. Demain ce sera vachement mieux, dirait Higelin. Il faut toutefois bien s’agripper, à deux mains même, à la vergue, et sans oublier le U en ce qui me concerne, même si certaines dames aiment à s’en dispenser, ce que je peux voir d’un bon œil.

Je discute avec celui que je suspecte de s’être évadé des mines de la Moria : Je ne m’étais pas trompé ! mon intuition féminine est au top (hum ! hum ! sauf quand elle se met le doigt dans l’œil ce qui arrive de temps en temps, il y a quelques jours encore…) en tous cas notre ami Gimli (je l’appellerais ainsi pour rester fidèle à Tolkien) a travaillé pour ERMET, une entreprise minière bien connue en Nouvelle Calédonie, et s’est occupé d’extraction de minerai de titane. Comme quoi….

On emprunte un chenal étroit entre une ile assez grande et la terre, avec un petit air celtique, granit oblige.

Puis on le rend. La météo est bonne, mais à Tromsø, il y a une prévision à -14°C pour la nuit précédent notre arrivée. Jusqu’à zéro voire -5°C, même pas peur. En dessous c’est l’inconnu. Mais les norvégiens ont de combinaisons isothermes donc j’ai ce joker-là !

Nuit du 5 au 6 Avril : quart de minuit à 4 heures. Cette fois ci on est assez nombreux pour que la procédure complète soit respectée. Après le rassemblement au coup de sifflet à minuit moins 5, nous nous disons selon le même ordre puis appel. Ça peut paraitre militaire donc crétin, mais en fait c’est logique. Vérifier que tout le monde est là et, si quelqu’un manque, repérer de suite le nom du manquant. Même rituel à la fin du quart.

Nous avançons tout d’abord dans une mer d’huile. Je suis de barre et tiens le cap à +ou – 2°. Pas mal. Ensuite je passe un bon moment en passerelle avec Bjarme. Puis une heure de vigie à l’avant. Le vent commence un peu à monter, accompagné d’une légère houle. Je sens que ça fraichit aussi au niveau de la température. A la fin de mon heure je transmets au suivant tout ce qui est visible et reçois un compliment du genre « what an accurate take over » Il faut dire qu’entre les bateaux, certains en route, d’autres attendant de rentrer dans le terminal pétrolier voisin, les feux visibles, il y a avait du monde au balcon… avant. Je vais vérifier en passerelle si j’ai bien compté le feu que je vois depuis une demi-heure. Parfait, c’est bien lui, à 4 milles au Nord. Bjarme m’explique que la tactique est d’avancer le plus vite au large car du vent fort de NE, soit notre cap (hé hé ! ça au moins, ça ne change pas : quand je vais dans une direction le vent en vient), est attendu dans douze heures. Ce vent nous obligera à slalomer dans les fjords pour être à l’abri. J’avoue que cette option n’est pas pour me déplaire car voir les fjords de près est quand même le must d’un voyage côtier en Norvège. En fait on pourrait y aller dès maintenant mais une avancée vers le Nord complètement à l’abri des fjords nous rallonge la route de 80 milles sur les 800 que nous avons à faire depuis Stavanger.

Dimanche 7 avril : comme c’est dimanche, le menu du Breakfast est Eggs and Bacon et le quatre heures est agrémenté de brownies et de chocolat chaud, le vrai dans lequel la cuillère pourrait tenir seule. Nous avançons avec un vent de 25 à 30 nœuds en plein dans le nez, et donc au moteur. On essaye de slalomer entre les iles pour éviter la houle mais quand c’est impossible, ça mouille bien. A midi, nous avons eu un peu de neige mais qui n’a pas duré longtemps et n’a pas tenu. Une heure de barre par quelques degrés au-dessus de zéro est suffisante, car ensuite on sent bien que malgré les couches, le froid finit par avoir le dernier mot.

Mimi glagla

A bord deux personnes sont allés en Birmanie et en parlent avec des lumières dans les yeux. Je leur montre mes photos. Ça réchauffe… Est-ce un hasard que nous nous retrouvions là ? Pas certain. C’est une journée tranquille, un peu trop même, car, au moteur, il n’y rien à faire question manœuvre. Je me rabats donc sur la table à cartes pour voir comment les officiers travaillent. Tout est électronique mais il y a quand même une carte papier qui traine dans un coin.

la "Chart-house"

Magie des cartes marines. J’ai eu, pendant dix ans, mon stock de cartes marines (plusieurs centaines) rangé sous de mon lit, à plat sur de grands rayonnages. Il me plait de croire que les cartes infusent le voyage comme le thé infuse l’eau chaude. Et que l’envie de voyager est entretenue lorsque mon sommeil est imprégné par le rêve qui émane d’une carte marine. J’ai des cartes de tous les pays situés autour de l’océan atlantique y compris quelques cartes assez anciennes, voire même des facsimilés de portulan. La capacité de rêve et de projection que porte une carte est fabuleuse. Je peux rester des heures à en contempler une. Elle porte la trace de générations de marins qui les ont peaufinés, rendu plus précises, les ont enrichi de vues des côtes, de petites annotations. C’est l’histoire de la navigation et des découvertes, mais aussi de la science topographique, qui se cristallise dans une carte marine. C’est aussi l’histoire de la géo stratégie, avec cette bataille pour que la longitude de référence soit, en fonction des services hydrographiques, le méridien de Greenwich, le méridien de Paris (qui passait dans notre appartement de la place St jacques à Paris, car nous habitions à deux pas de l’observatoire de Paris) quand ce n’était pas le Méridien de l’ile de Fer (l’ile de Hierro aux Canaries, une des plus belles avec la Gomera et La Palma), qui fut un temps le dernier bastion connu et reconnu avant le saut dans la terra incognita !

Cet après-midi nous avons pris un passage en eau libre, un peu loin de la cote. La houle est montée d’un cran, d’autant plus que le vent aussi a grimpé en force. Le paysage était plus éloigné.

Dommage car le soleil a refait son apparition, ce qui n’a pas eu une grande influence sur la température. Mais ce soir on devrait regagner des chenaux entre les iles, et des fjords. Peut-être pour le coucher du soleil. Ça pourrait être assez joli. Nous avons fait la moitié du chemin pour Tromsø et donc l’ascension vers le nord n’est pas finie. Ce qui laisse augurer que le thermomètre va encore baisser. Brrr ! jusqu’où tiendrais-je ? la combinaison isotherme est très demandée, pas certain qu’il y en ait pour tout le monde et les nauséeux ont la priorité, ce qui se comprend aisément….

Nuit du 7 au 8 Avril

Cette nuit, l’heure passée à l’avant à faire la vigie, avec un vent un peu fort, a été carrément frisquette. Les joues sont piquées par le froid. Mais en compensation j’ai eu ma première aurore boréale.

Pas tout à fait la première puisqu’en 1980, j’en avais vu une, entre les iles Vestmann et Reykjavik, lors de ma croisière initiatique sur Biribi. Mais c’était une nuit un peu spéciale, car sur un cargo, et de plus, il y a avait de l’autre coté de l’horizon une éruption de l’Hekla.

Cette nuit, ça a commencé par une lueur diffuse comme si la jour allait arriver. Suivi d’un arc de cercle vert jade foncé, à la manière d’un arc en ciel, mais très bas sur l’eau, et la grande Toccata de Bach a resonné très distinctement dans ma tête. L’arc barrait le ciel d’est en ouest. Et puis l’orgue divin s’est déchainé. Un rayon vert vertical est apparu, puis s’est dissipé. Ensuite des reflets dans le ciel, comme un châle moiré sur une robe noire. La dame qui portait cela est très classe. La Pachamama ? La gorge se serre. Et puis tout disparait et seul un halo clair reste. Bach s’est tu. Je suis certain qu’il avait vu une aurore boréale avant d’écrire la grande Toccata. Pourquoi me reviennent distinctement ces vers de G de Nerval et un visage échappé d’un tableau de la renaissance italienne

Elle a passé la jeune fille

Vive et preste comme un oiseau

A la main une fleur qui brille

Et aux lèvres un refrain nouveau

C’est peut-être la seule au monde

Dont le cœur au mien répondrait

Qui venant dans ma nuit profonde

D’un seul regard l’éclaircirait

Mes voisines de couchette, qui sont de Tromsø, m’ont dit qu’une aurore comme celle-ci, c’était du tout-venant, que cela pouvait être beaucoup plus impressionnant. Waouh ! j’attends donc la suite. Les ingrédients d’une belle aurore boréale semblent être, d’abord un ciel pur sans nuages, et ensuite des hautes pressions.

Après mon quart, à 4 heures, je me mets au lit et m’endors illico. Réveil à 8 heures pour le breakfast : nous passons entre des iles et des montagnes dignes de Tolkien, sous un beau soleil. Je me rendors non sans avoir photographié, pieds nus, ce spectacle beau à pleurer. Mais les petits petons gelés n’incitent pas à peaufiner le cadrage.

A 11 heures, vrai réveil : changement de décor sur la scène : Le Grand Régisseur fait tomber des cintres des flocons. Ça ne tient pas mais ce sont de vrais flocons, le Grand Régisseur ne lésine pas. L’après-midi sera placée sous le signe de la calmasse mais sous voiles car le vent a tourné et nous permet de sortir la toile…. en nous déhalant à deux nœuds, vitesse ridicule de moins de 4 km/h. Je pense que le moteur va faire entendre sa voix sous peu.

Nous venons de passer le cercle polaire. Baptême de rigueur pour ceux qui ne l’ont jamais passé en bateau (sur le modèle du passage de la ligne du temps des clippers, voir photos). Mais je m’en dispense car j’ai déjà passé ledit cercle lors de ma croisière au Spitzberg en 86 ; et bien m’en prends car cela consiste à se faire verser une louche d’eau glacée dans le cou par le Dieu Neptune himself et ses assesseurs.

le (très bon) cuistot du bord avait préparé des verres de schnaps pour que les baptisés puissent se remettre. Un cuistot mince c'est plutot rare...

C’est le supplice que je déteste le plus au monde avec la main glacée dans le dos, que les dames (je ne sais pourquoi) aiment tant pratiquer.

Le soir après diner (à 17h30/18h, c’est tôt) on rentre la toile et on démarre le moteur… sous la neige qui cette fois ci, semble vouloir tenir. La nuit promet d’être douce, mais voici qu’au fond du bois n’apparait pas la lune rousse…. Sérieusement, le ciel est couvert, donc aurore boréale walou, comme on dit en Norvégien.

La neige ne tint pas mais nous flirtâmes avec le zéro. Et nous eûmes quand même une petite aurore boréale, juste un arc vert dans le ciel. Au matin Bjorme m’indique que nous allons bientôt être proche du « Lofoten Wall ».

Creme Chantilly à tous les étages

Cet archipel est en fait une chaine de montagne qui sort de l’eau avec des sommets assez à pic. Et je décide donc de ne pas me mettre dans les plumes et d’attendre le lever du soleil pour photographier le mur. Assez majestueux. Vous en jugerez par vous-mêmes. Puis dodo. Mais à 10 heures, alors que j’émerge à peine, on nous annonce que nous allons embouquer le fjord des trolls.

Tolkien ne l’avait probablement pas visité celui-là, sinon il l’aurait inclus dans un de ses récits. Et là, je reste coi. Un coup de hache dans la roche, une saignée de 60 mètres de haut avec de très beaux murs d’escalade de chaque coté et des fonds de plus de 50 mètres. Juste au moment d’entrer, nous croisons un voilier qui en sort au moteur.

Les norvégiens ont la navigation dans le sang… et j’espère, pour ce brave voilier, un bon chauffage à bord. Coté ombragé, les cascades sont gelées, coté soleil, elles dégèlent à peine.

Avis aux varappeurs : si vous devissez ça fait juste plouf !
cascade gelée

Puis un demi-tour magistral au fond du fjord, en mode « soit-c’est-ton-bout-dehors-qui-touche-soit-c’est- ta-hampe ». J’exagère en fait, il y avait largement de la place pour tourner. En deux coups les gros, je monte (vraiment à l’aise Blaise) dans le grand hunier pour faire quelques photos, car maintenant plus besoin de d’avoir un marin qui me dit où mettre les pieds, et même que j’ai le droit d’avoir l’appareil photo avec moi. Nous évoluons dans un environnement féérique, d’une beauté irréelle. Si je visionnais en film ce que je vois avec mes deux yeux, je crierai à la fake image de synthèse. Le vent est complètement tombé, nous naviguons dans un lac. « Tu contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame ». Mais l’heure passée à veiller à l’avant nous rappelle que nous sommes très haut en latitude et que le froid mord, même dans la calmasse. Je n’ose pas imaginer 30 nœuds de vent avec la même température et sans soleil.

Le reste de la croisière fut nominal, le tout-venant : des sommets enneigés dans un dédale de canaux sans vent, la routine en somme. Slalom entre les iles, cette cote est le hors d’œuvre des canaux de Patagonie. Et le 10 à 10 heures, la coupée était en place sur le quai de Tromsoe. Mes amies norvégiennes m’emmènent nous envoyer en l’air dans leur…. téléphérique qui monte au-dessus de la ville avec vue sur le dédale de fjords… et le CR tout petit en bas.

Et demain, embarquement sur une voiture battant pavillon coréen, pour explorer les Lofoten !

 

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