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mievpolou.over-blog.com Québec, Birmanie, Islande, Terre neuve, Norvege, Trois mats, Lisboa, Azores, Pays bas, péniche, canaux

Nord nautique, suite et fin

Michel RAVITSKY

L’embarquement sur le Radich à Tromso fut très mouvementé, en ce dimanche 21avril. D’abord enfilage des combinaisons isothermes, ensuite du gilet de sauvetage et le sac à dos photo par-dessus l’ensemble. Inutile de penser à mimer Elvis Presley et sa danse pelvienne avec tout ça sur la couenne. Le pilote de l’annexe devait confondre rodéo et navette et en 5 minutes mon sac à dos photo fut trempé. Le tissu est étanche mais les Zips….

Il réalisa qu’il avait forcé sur la manette des gaz (le regard torve de Tove, mon ancienne cheffe de quart aux Acores, voir Overblog, était suffisamment expressif) et finalement le Radich vint à notre rencontre, puis le canot et son contenu (dont votre serviteur) fut hissé à bord. Joie du cabestan électrique….

A peine arrivé, je mis toutes mes hardes salées dans la machine à laver et me précipitais sur le sac à dos photo. Le matériel photo était intact mais l’ordi avait des gouttes d’eau salées sur le capot. Outch ! angoisse ! nettoyage de toutes les prises avec un spray spécial contacts électriques, et séance séchage dans la salle des machines. Le souci, c’est que l’eau salée fait forcement des ravages. Une simple goutte peut tout corroder. Après 48 h de séchage, le bilan est simple : le disque dur et toute l’unité centrale fonctionnent mais le rétroéclairage de l’écran est kaput ! Mince ! quand je pense qu’en Birmanie, je n’avais pas voulu emmener mon bel ordi tout neuf, et que le vieux n’a pris aucun pète…. Maintenant c’est le neuf qui lâche. Je n’ai pas assez anticipé mais il faut dire que l’état de la mer dans le fjord ne laissait rien présager de sérieux.

Ambiance très familiale à bord. Fritjhof, le capitaine, ne m’est pas inconnu puisque à Horta (je vous conseille encore une fois d’aller voir sur Overblog), nous partageâmes une séance d’amarrage à quai assez épique, durant laquelle quelques amarres et pare battages connurent une fin tragique. Mais comme je suis le seul trainee, je me glisse là où je peux car les discussions en norvégien vont bon train, ce que je peux comprendre. J’ai choisi d’être dans le quart de maintenance de 8 à 19 h. Et donc je suis réquisitionné pour graisser le cuir … non pas des norvégiennes, mais des canapés du grand salon, sous le regard bienveillant de la famille royale norvégienne, en portrait officiel comme il se doit.

Et puis ce sera le vernissage du plancher du dortoir arrière, celui que j’occupais à l’aller. Ponçage, rinçage et deux ou trois couches. Je discute avec le charpentier du bord. Il est l’heureux propriétaire d’un folk boat, très beau bateau en bois vernis. Lui l’a lasuré avec 25 couches (vingt-cinq) ! et quelques parties sur le pont sont vernies ! J’aimerais bien voir la chose ! vu la méticulosité qu’il met dans le ponçage du vernis du plancher, on doit pouvoir se raser sans emmener de miroir, la coque peut remplir cet office. Mais c’est vrai que je me sens un peu seul parfois, et pourtant ils sont tous adorables.  Pour ne pas mobiliser un dortoir pour moi tout seul et permettre le vernissage du plancher on me donne la cabine du second officier : ma foi il y a pire comme mesure conservatoire ! J’ai donc une couchette simple, une penderie, une bibliothèque, et surtout je peux dormir à poil, comme je le fais depuis que j’en ai, sans risquer les poursuites pour attentat à la pudeur ! .... Ou des poursuites tout court (on peut rêver)

Les deux premiers jours sont sous le signe du mauvais temps avec vent dans le nez montant quand même à 50 nœuds soit environ 100 km/h. Donc moteur, parfois sous la pluie qui peut se transformer alors en aiguilles de glace. Le port de lunettes de protection ou de ski est alors nécessaire. Google forever !

Mardi 23 avril, le beau temps revient et le calme plat s’installe : il fait 15°C, la canicule. Nous sommes repassés au sud du cercle polaire, ceci explique cela. Je connecte mon ordi sur l’écran géant du mess. Et ça marche ! mais pour les messages persos, c’est mal barré !

Le reste de la traversée fut sans histoire, mais je garderai longtemps en mémoire une soirée en T shirt où le capitaine sortit des cigares made in Islas Canarias qui, ma foi, étaient excellents, parfumés, et n’arrachaient pas les muqueuses, tout comme je n’aime pas avec les gros barreaux de chaise genre Cohiba.

A Ålesund, ville réputée pour son Art Nouveau (réputation discutable car l’architecture est quand même un peu plus massive que ce qu’on voit à Barcelone ou même à Paris Avenue Rapp ou au Castel Béranger derrière la maison de la Radio), à Ålesund disais-je, visite d'un musée à ciel ouvert avec des maisons du coin reconstruites sur place, et un hangar à bateaux, plus quelques canotes à l'eau. Une réplique de Drakkar enduite de goudron... de Norvège. Je vais me parfumer à goudron de Norvège N° 5, j'en serais encore plus « attachant ». Et peut-être mettrais-je des plumes pour les grands soirs... Blague à part, cette odeur, c'est une invitation au voyage : Very good trip my friend ! Mesdames si vous voulez me conquérir, parfumez-vous au goudron de Norvège ! Personne ne moufte ? Pffff ...

Ensuite, ce fut le Ferry Hurtigruten entre Ålesund et Bergen. C’est un peu l’ambiance croisière Costa mais je vivrais pire pour aller en Islande. Toutefois je garde un souvenir fameux du matin dans les fjords dans une brume qui mettra du temps à se déchirer. Pour mon plus grand bonheur…à 5h du matin. D'un seul coup ce n'est plus l'été. Le Hurtigruten s'enfonce dans un fjord. Lequel ? Mystère. Du reste, suis-je encore dans ce monde ?

Bergen

Bergen est la plus belle ville que j'ai vu en Norvège, peut-être même plus belle qu'Oslo. Découverte de la ville à pied (une ville ne se découvre qu'à pied) avec ma logeuse Airbnb, qui prendra le temps de faire le guide pendant près de 3 heures. Et en plus, j'ai eu le droit à un démarrage du printemps en trombe car le thermomètre affichait dans les 22°C. Une semaine plus tard, la neige tombait à nouveau, et nous étions en route vers les Shetlands. Sale temps pour les fleurs !

La Norvège compte 29 églises en bois construites entre le 10° et le 12° siècle, donc au moment où le christianisme s'implantait en Scandinavie, ce qui explique que les motifs vikings sont très présents. Voici la plus belle, l’église de Borgund, qui change très vite d'aspect dès qu'un rayon de soleil la touche. Elle est dans son état d'origine. Rien à voir, mais pourtant je revois les images de Tarkovski (Andrei Roublev) et d'Eisenstein (Alexandre Nevski) ...quoique les Rus étaient une tribu scandinave. Quand je suis passé à Borgund, un jeune gars était en train de la repeindre au goudron. Odeur fabuleuse. On a discuté un moment. Il peignait en pleine conscience, sachant très bien qu'il mettait ses poils dans ceux des dizaines de générations de peintres qui l'avaient précédé. Le goudron a un avantage et un inconvénient : il permet au bois de tenir 8 siècles sans broncher. Mais il bouche les délicats entrelacs et autres bas-reliefs qui ornent certaines façades. On ne peut pas tout avoir...

Kvernes fut la seule église "Stave Church" dont je pus visiter l’intérieur à ma guise. Quand c'est pas la saison, c'est pas la saison et on ferme tout ! Comme beaucoup d’églises en bois, si elles furent construites entre le X° et le XII°, l’aménagement intérieur a été remanié jusqu'au XVIII°. Et bien entendu, l'ex voto incontournable. Il faut dire que cette église a été établie à un emplacement stratégique, qui commande un des accès maritimes à Kristiansund, et qui était déjà construit du temps des vikings.

A Kristiansund, un trésor m'attendait : un vieux chantier de bateaux du XIX°, maintenu en état par une bande de passionnés avec qui je me suis senti très à l'aise : ça a longtemps papoté, en particulier avec le proprio d'un amour de petit voilier suédois avec une arrière canoé aux formes qui filent bien sous la main, tout vernis de partout. Un hangar avec des canotes magnifiques, et un atelier de chaudronnerie et forge tout droit sorti de Zola et de Jules Verne. Dire qu'il faudra rentrer un jour ! mais d'autres trésors m'attendent probablement, pas loin de ma maison, c'est toujours ainsi...

A Bergen en rentrant des églises en bois, une mauvaise surprise m’attendait : le Lemkuhl en rentrant zau port s’était pris en mer un méga boute dans l’hélice. Moralité, une pale tordue, une fuite d’huile car c’est une hélice à pas variable donc avec un mécanisme dans le moyeu de l’hélice. Passage en cale sèche obligatoire et croisière au Shetlands annulée. On me propose un plan B, le Loyal, une goélette a huniers de 1877. Ma foi entre ça et rien. Donc sac à bord après une soirée sympa dans le bistro attenant les bureaux du Lemkuhl. J’y rencontre un des deux capitaines de ce fier navire, qui connait bien Fritjhof et la glace fond en en clin d’œil. Nous les marins, on a le chic pour nouer très vite des amitiés. On sait que le temps est compté, que les escales sont courtes et on va à l’essentiel (cf. le joli poème de Paul Fort que Brassens a chanté : « la marine »). Le lendemain je mets mon sac à bord juste au moment où le Lemkuhl arrive, trainé par deux remorqueurs. Triste ! Mais je crois que j’irai sur naviguer sur ce bateau, et au festival, car il parait qu’un des capitaines est titulaire d’un MBA de chants de marins !!! Dur à imaginer que ça puisse exister ce diplôme.

Le Loyal est un beau bateau. Il est doté de quelques cabines doubles, mais je suis dans la cabine principale où nous sommes 8 à dormir. Pas de planche anti roulis dans ma couchette. Aussi je récupère dare-dare un morceau de contreplaqué et ça roule. Le bateau est bien aménagé mais certains détails clochent. Manque de mains courantes pour se caler à la gite, idem pour caler les pieds. Et le bateau a un lave-vaisselle (ça doit être obligatoire en Norvège dès que l’on doit accueillir des passagers) qui n’est pas bloqué ce qui fait qu’à la gite, il bouge et bloque presque l’accès à la cuisine. Le réchaud four, un imposant bahut en inox n’est pas suspendu sur cardan et les casseroles n’ont pas intérêt à être remplies. Port du pantalon de cire conseillé quand on cuisine. Mais il y a surtout deux inconvénients majeurs. Tout l’équipage fume et en mer c’est assez gerbique. Et les skippers ne sont pas des adeptes de l’ordre et du rangement, ce qui est étonnant pour un bateau nordique : cendriers pleins, verres qui trainent un peu partout, coussins pas attachés par des velcros et qui se retrouvent par terre dès que ça gite… et puis c’est un bateau en bois, et donc au retour, ma couchette qui sera sous le vent sera aussi le réceptacle des petites infiltrations venant du pont… et je me retrouverais avec les fesses mouillées en étant certain de ne pas avoir fait pipi au lit !

L’équipage est sympa. Nous sommes trois non norvégiens : une anglaise excentrique, Frances, comme son nom ne l’indique pas, très bavarde et qui a eu une vie très voyageuse, comme les anglais savaient si bien en avoir du bon vieux temps des colonies (si j’avais un casting à faire pour un film sur Alexandra David Neel, ça serait elle), Thomas, un autrichien avec une voix de basse à se faire embaucher par Octambule. Il y a aussi un jeune Norvégien avec qui je sympathise, qui travaille sur une plateforme de forage et est fana de vieux gréments, au point de connaitre un paquet de chants de marins, ce qui donnera lieu et des bœufs très corrects. Et il y a quelques têtes qui ne déparerait pas dans Game of Thrones… Beaucoup de gens sont toutefois dans leurs premières expériences maritimes, et du coup l’équipage (très sympa au demeurant) ne nous sollicite pas trop pour les manœuvres, qui sont systématiquement ordonnées en Norvégien, donc pas facile de s’immiscer...

La traversée à l’aller fut extrêmement vomitive, surtout pour votre serviteur, sans que le temps soit exceptionnellement dur, pas plus de force 7. Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai vomi en mer, sauf après un repas trop copieux et trop arrosé. De plus, un équipier s'est cassé la jambe suite à un dérapage sur le pont en prenant son quart. Attelle de fortune. Le souci est que ce brave garçon fait 2.05m et 135 kg. Il a fallu 6 brancardiers à notre arrivée à Lerwick pour le transvaser du pont à l'ambulance...

Shetlands. Les écossais disent : si vous n'aimez pas ce temps-là attendez 5 mn. Le premier jour, 3 averses de grêle, et une de neige. Entrecoupées de grands passages de soleil. On n'en est plus aux 25 degrés de Bergen, où du reste il neige (sale temps pour la floraison). Il fait plutôt 5 degrés TTC maxi. Ramènerais-je un kilt, le longyi des écossais ? Par ce temps, bonjour les marrons glacés... Le festival folk des Shetlands où le Lemkuhl et ses solistes devait assurer la partie maritime, me donne l’occasion de m’immerger dans la vie locale. Ambiance….

D’abord un concert avec dégustation de produits locaux à l’entracte. Ma foi c’est intéressant, comme on dit quand on n’est pas vraiment emballé. Ce qui n’emballe surtout pas, c’est que l’agneau est hyper cuit et perd toute sa saveur : qu’on me donne un four, un gigot, du yaourt grec, du citron, de l’ail et de l’huile d’olive avec thym laurier et romarin, et je m’en vais te leur bricoler un gigot maison façon grecque.

Autre constat, les femmes, jeunes ou pas, en scène ou dans le public, sont fringuées façon « 60ties ante Carnaby street », c’est-à-dire à chier. Le pire c’est que certaines font visiblement des efforts…. Les spectacles sont d’un bon niveau avec toutefois des formations locales qui sont parfois un peu laborieuses. Mais chapeau pour cet attachement à la musique. Je crois que à Lerwick, la densité de violons, ramenée au nombre d’habitants, doit battre des records mondiaux. Le public est majoritairement local, mais avec beaucoup de représentants de la diaspora shetlandaise. C’est que ce pays comme l’Ecosse (ne surtout pas dire à un shetlandais qu’il est Ecossais) ou l’Irlande a connu des famines terribles, d’où immigration… On aura donc des gens venus d’Australie d’Indonésie, des USA, d’Amérique du sud etc…

Retour, veillée d’armes à 22 h. Il fait encore clair et vraiment frisquet. Pris le dernier bulletin météo. Moins pire que celui d'avant... qui a obligé à décaler notre départ de 12 heures. On part finalement demain à 7h. Dodo maintenant. On risque de dormir peu une fois partis. La houle va mettre du temps à baisser. La traversée du retour fut beaucoup moins remuante qu’à l’aller, mais peut être plus froide. Rien à en dire, ce bateau est vraiment rapide sous voiles, il marche à 8 nœuds au bon plein, ce qui est appréciable. Arrivée à Bergen, et comme l’aéroport est loin de la ville mais sur le chenal d’accès au port, on me débarque sur un ponton à cinq minutes du hall d’entrée, habillé en bottes et veste quart. Ça va faire tâche.... Et chaud. Même pas eu le temps de retirer mon Damart.

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