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mievpolou.over-blog.com Québec, Birmanie, Islande, Terre neuve, Norvege, Trois mats, Lisboa, Azores, Pays bas, péniche, canaux

La croisière blanche 2

Michel RAVITSKY

1° Avril. Ça y est. On est partis. Tout était nominal. La voiture fut au parking à 7h15 et à 7h45 je montais à bord. Une bonne douche pour commencer, car les 6°C du matin comme du soir n’incitaient pas à la douche en plein air, aussi chaude fut-elle. On enfile les vêtements chauds. Et le tour du propriétaire commence. Plaisir de retrouver ce magnifique terrain de jeu où tout est à sa place, ou rien n’est là par hasard. Ça change de Gimont et de ces zigouigouis. On refait le tour de sécurité. Je ne décrirais pas à nouveau mon environnement matériel car rien n’a changé depuis la croisière Açores/La Corogne de l’an passé et tout est déjà dit dans over-blog.

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http://mievpolou.over-blog.com/2018/03/il-y-a-les-vivants-et-il-y-a-ceux-qui-naviguent.html

Harlingen, un bateau feu, relique d'un temps qui n'est plus

Mais un mot s’impose sur l’équipage : presque que des têtes nouvelles. Le capitaine Fritjohf (comme Nansen) n’est plus là et c’est un gars sympa à l’air jovial qui le remplace. Seuls deux officiers, Marco et Bjorma, sont encore là ainsi qu’une chef de quart, Amelia, une robuste anglaise qui connait son boulot comme pas deux. Le charpentier a l’air sympa, on discute un peu. Ma chef de quart s’appelle Malin (prononcez Maline). Elle l’est. Boris Vian est démenti : elle m’arrive à l’épaule mais elle n’est pas râblée comme tout. 50 kg toute mouillée au mieux. Cependant, elle assure comme une bête. Tous ces siècles où les hommes ont confiné les femmes à des taches ancillaires, se privant ainsi de précieuses compétences. L’équipage est donc en grande partie féminin et les filles ont pas mal de responsabilités… sauf en passerelle, où là aussi, Norvège ou pas, le plafond de verre fait des ravages.

Ne pas oublier la chaloupe en partant...

Nous sommes 12 passagers payants, on dit des trainees en anglais (prononcez « trainise », s’il vous plait, car je ne suis pas un homme de mauvaise vie). La caacité d'accueil est 80 personnes donc, je ne sais pas comment "manger la grenouille" se dit en Norvégien, mais ils ne vont pas tenir longtemps à ce rythme. Une seule femme, une norvégienne à l’air plutôt sympa ; on dirait que les dames, même vikings, n’ont pas plus envie que cela de se cailler les meules en Avril en mer du Nord. Les âges oscillent entre 50 et 70 ans ce qui n’est pas folichon. Il faut dire qu’à cette époque de l’année les traouailleurs et les traouailleuses ont autre chose à faire (snif). Beaucoup de norvégiens, deux allemands, un irlandais (dont je comprends l’accent, ce qui est appréciable) et un ??? . Les prénoms sont impossibles à retenir, déjà qu’en temps normal j’ai du mal à le faire. En fait ça ressemble davantage au catalogue IKEA qu’à une liste d’équipage. On a à bord un monsieur au ventre un peu rond (au royaume des aveugles…), avec un collier de barbe et des cheveux qui partent dans tous les sens : un évadé des mines de la Moria probablement. Un norvégien est episseur de câbles de téléphérique et de remontée mécanique. Dans la série des petits métiers en voie de disparition (cf. la chanson de Juliette « les métiers disparus » avec la faiseuse d’embarras, l’enculeur de mouche et l’équarisseur d’enfants) celui-ci se pose là : il m’explique qu’il fait des épissures sur des câbles à 6 torons, lesquelles sont d’une longueur de 3 mètres sans aucune augmentation de diamètre, permettant ainsi à la pioche du remonte-pente de s’agripper sans difficulté. Il n’y a que 4 personnes en Norvège qui connaissent cette technique. Les cours de matelotage vont voler haut. Ceci étant, même si les explications techniques sont en anglais, ce que j’apprécie au plus haut point, les conversations au repas sont en Norvégien et ce sont pour moi des moments de grande solitude…. Pour le moment, car en Mars 2018, ça avait été pareil au début, et puis à la fin de la croisière on jurait dans les bars à tapas de La Corogne qu’on était une grande famille à la vie à la mort, et vous reprendrez bien un verre de Sangria. Il faut dire que grâce à Facebook, j’ai conservé des contacts avec trois ou quatre de mes coéquipiers. Ah ! FBK mon ami, dirais-je un jour tout ce que je te dois ?

Cet après-midi, alors que nous sommes au moteur dans une pétole de chez Pétole, et que je prépare une petite sieste dont j’ai le secret (la nuit dernière fut courte, avec tellement de trucs à me passer en revue dans la tête + l’excitation des veilles de départ et autres doux évènements comme la découverte de … Harlingen), v’là t’y pas qu’on vient nous dire : everybody who wants to enter in the rigging, please go on deck » Eh oui, en anglais, on entre dans le grément comme on rentre dans les ordres. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose d’initiatique dans cette pratique, sinon transcendante, certainement ascendante. A cette invite, mon sang ne fait qu’un tour ! j’ai un échec cuisant à laver. L’an passé j’avais été minable, n’arrivant, et encore qu’au deuxième essai, à n’atteindre que la hune. Motivé comme pas deux, j’enfile le harnais et me présente dans les haubans, arrive sans encombre, un peu crispé peut-être, à passer la partie en devers qui amène sur la hune, puis après un petit séjour d’acclimatation dans icelle hune (comme Tintin, j’ai marché sur la hune) je file sur la vergue du grand hunier fixe, guidée par une gabière norvégienne qui a des grâces de singe Attelle, pour finir sur le marchepied de vergue, comme il se doit. Ah mais ! dire que je suis à l’aise est un peu abusif mais j’ai réussi. Certes pas en état de prendre un ris ou encore moins de carguer une voile, mais déjà un peu moins tendu. Les muscles sont moins contracturés que l’an passé lors de la redescente qui se fait les doigts dans le nez (non, surtout pas !). A recommencer tous les jours

En suivant, un petit tour à la barre. Ça va, là je n’ai pas perdu la main. Et puis il n’y a pas de pile de pont pour traverser la rue sans crier garde (coucou Marie Helene). L’équipage est peut-être un peu moins nombreux que l’an passé et les trainees beaucoup moins. Et pas tous très nerveux. Je sens qu’on va être souvent sur le pont pour les manœuvres. A peine le temps d’écrire ça que Amelia descend nous demander un coup de main. Le vent s’est établi et il faut brasser les vergues c’est-à-dire les mettre perpendiculaires à la direction du vent qui vient de tribord (la droite), et en gros du travers. En un quart d’heure presque toutes les manœuvres, qui étaient bien rangées, lovées avec amour sur leur cabillaud, sont en vrac sur le pont. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Amelia nous dirige au sifflet, et ça marche : mesdames, pour vos prochaines équipées, birmanes ou autres avec moi, essayez le sifflet, vous ne le quitterez plus ! (Jamais je n’aurais dû écrire cela, tant pis c’est fait). J’ai beau avoir compris grosso modo comment on manœuvre, c’est quand même d’une complexité folle. Ne serait-ce que le circuit de chaque manœuvre vaut bien le labyrinthe de Chartres. Je disais transcendance….

Haul away, we’ll haul and hang together … (paroles de Hanging Johnny, chanson anglaise à hisser) : je ne connais rien de mieux pour souder des gens qui ne se connaissent pas que de les mettre ensemble à tirer sur des cordages. Une communion s’installe quasi immédiatement et une complicité très forte s’établit. On ne se regarde plus pareil après avoir partagé ce moment très fort où la réussite de la manœuvre dépend de chacun et où tous doivent mettre leur maximum. Quand je serai grand, j’aurai un trois mats et ferai des stages de « Team building » pour des entreprises et des grandes administrations. Les inscriptions sont ouvertes. Avis aux amateurs/trices.

matelotage...

« Il est huit heures du soir, y a douze heures que j’travaille, je vais quitter la terre, je serais tellement beau que tous ces connards là en auront plein la vue : et hop c’est parti » (Bernard Dimey). C’est parti pour une sieste de quatre heures car je suis sur le quart de Minuit/Quatre heures du matin, le moins sympa car on ne voit ni coucher ni lever de soleil. « Ah quelle est dure et triste la vie du matelot… » paroles de « Adieu chers camarades », chanson séditieuse qui fut interdite dans la Royale au même titre que « Les fayots ». C’est qu’il me faut réviser pour le festival des chants de marins aux Shetlands du 1° au 7 mai. Mais c’est une autre histoire….

23h30 le chef du quart précédent nous réveille. Rassemblement à 23h55 et pas après. J’aime la ponctualité des nordiques. Nous autres gaulois avons des progrès à faire de ce coté-là. Le chef rajoute « it is bloody cold outside ». Quand un nordique vous dit ça, on respecte, et je sors la totale, soit quatre couches

En haut : T-shirt, puis sous pull Helly Hansen, puis gros pull écossais sans forme mais très chaud, le tout couronné par ma veste de quart de chez Cotten qui pèse un âne mort.

En bas, après la petite culotte en dentelle : un caleçon Decathlon, un jean en velours, et un pantalon de ciré (un vrai du genre qui monte jusqu’au aisselles) en goretex, inauguré récemment qui évite l’horreur de la condensation à l’intérieur du pantalon, laquelle génère inconfort, froid, et humidité. Capeler tout ça ressemble un peu à l’habillage des cosmonautes d’Apollo 13 (j’ai vu « le premier homme » récemment, je recommande). On a intérêt à prendre ses précautions avant car ne serait-ce que le déroulé du tuyau d’arrosage se révèle être un exploit chronophage, sur le mode « A la recherche du temps perdu » : on finit par se demander s’il ne s’est pas égaré entre deux couches de coton, ou bien resté prendre l’air sur le marchepied de vergue….

En fait la nuit s’avère être très supportable. On est encore au moteur car le vent est un peu juste pour tenir le cap. Pas d’embruns ou peu. J’ai même un peu chaud, mais suis vraiment engoncé dans mon attirail. Je commence à me lier avec l’équipage qui me gratifie en anglais d’un cours sur les noms des espars de la mature (noms norvégiens, pour simplifier…). Et je discute avec Malin. Je lui donnais 25 ans mais elle fait du tall ship depuis 13 ans. Donc je refais mon estime. Elle a navigué sur le Göteborg, un trois mats en bois du type Hermione, et est rentré avec depuis la Chine. Respect même si le bateau est rentré par Suez et non par Bonne Espérance.

2 Avril : le matin me voit admirer le bateau filant 7,5 nœuds soit 15 km/h (un petit vélo) sous ses huniers volants seuls, avec le vent de travers. Nous entrons dans la cour de récré des vikings. Respect ! Qui dit que les mers ne sont pas habitées ? C’est comme chanter dans les rues de Belleville avec un orgue de barbarie ou entrer la première fois dans l’opéra du Capitole. On sent la présence, le poids, de ceux qui vous ont précédé. Ces lieux sont habités, en tous cas pour ceux qui mettent leurs pas dans ceux de leurs ancêtres pour y faire la même chose. Je me souviens de la première fois que je me suis présenté devant le phare de Land’s end, à la point Ouest de la Cornouailles. J’avais lu les récits sur l’invincible armada, sur la Tea Race des clippers, j’avais vu les photos des Gibson qui sortaient la chambre photo chaque fois, donc souvent, qu’un voilier se crashait sur les falaises de Cornouailles ou dans l’archipel des Scilly. Eh bien cette fois, là je sentis très fortement une sorte de présence de tous les marins qui m’avaient précédé. Présence ni amicale ni hostile, mais forte. OK : demain, j’arrête de fumer du varech séché, juré ! Sauf que là ce matin, sans fumer le moindre varech, je vois tous ces drakkars qui ont sillonné cette mer du Nord depuis tant de siècles. Ce sentiment de continuité est très souvent présent en moi. Peut-être en est-il ainsi lorsqu’on ne connait pas l’histoire de sa famille avant le grand père ? Deux chansons illustrent très bien ce sentiment de présence dans des lieux riches en histoire : « l’âme des poètes » de Trénet et « J’habite à St Germain des prés » de Leo Ferré

Echange avec Bjorma : lui a fait partie de l’équipage de Thor Heyerdal sur son deuxième bateau après le Kon Tiki. Il pense que les chances de voir des aurores boréales durant cette montée au Nord sont loin d’être négligeables. Youpi ! Si je fais une vidéo d’une Northern Light, je sais avec quelle musique je vais l’illustrer…

Un autre trainee a été se promener en voilier à St Petersburg et me raconte comment ça s’était passé en Russie avec les autorités : tonique. Un autre enfin, un allemand, est propriétaire une péniche de fret de 135 Mètres et est modéliste. Il me montre une photo d’une maquette de la goélette America qu’il a réalisé : beau travail.

Nuit du 2 au 3 avril : je l’avais senti de ma couchette car je me trouvais plus souvent appuyé contre la cloison, mais en mettant le nez dehors, ça se confirme : le vent a monté d’un cran, dépassant les 25 nœuds soit 50 km/h. Grand bruit dans la cuisine et dans la réception (c’est le « hall » abrité du vent qui est l’accès principal à nos dortoirs). Le thé a volé, heureusement que ce ne sont que les sachets et pas les percolateurs d’eau et de café bouillants. Dans la cuisine, un paquet de sel a fait un vol plané et s’est répandu sur le sol : séquence balayage. On est à 9 nœuds, toujours avec la même toile. Nous arrivons sous le vent de la cote norvégienne. La température est encore OK. On a prévu d’infléchir notre cap de 20° pour faire du plein Nord. Donc il va falloir brasser carré (mettre les vergues perpendiculaires au mât). Malin délove les cordages qu’on va avoir besoin de tripoter. Mais v’là t’y pas que la brise, bonne fille, tourne en même temps que nous. Donc il faut remettre les cordages en place. Sauf que Neptune, entretemps, a envoyé de solides paquets de mer nettoyer le pont et quelques cordages sont passés dans les dalots. Ça nous prendra donc une heure pour remettre le pont propre et bien rangé. Et l’eau est fraiche, qui goutte dans les cordages bien trempés…

3 avril : l’entrée de Stavanger se précise. Un fjord très large. C’est l’anniversaire du capitaine et le cuistot nous gratifie d’une génoise à la fraise tout ce qu’il y a de plus comestible. Préparatifs pour l’amarrage, soit deux heures de boulot à 20 marins. Pas besoin de pilote ce coup ci. Le CR est chez lui. Bientôt je vais explorer les rades de cette rade. Ce sera l’objet du prochain épisode. A 17h l’accostage est presque fini. On a quand même réussi à prendre 12 heures d’avance sur trois  jours de navigation, en ayant l’impression d’être sous toilé…

La vraie vie c’est ça : se faire mouiller, avoir froid, se faire réveiller à minuit et devoir tenir jusqu’à 4 heures du matin. Ils vous montrent des dents à décrocher la lune, à bouffer des haubans !Il y a les vivants et ceux qui naviguent. Demain tourisme à Stavanger (il y a un musée de la marine et des vielles maisons en bois…. Et la météo sera bonne. Et vendredi, on the road again

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